Le Mali devient peu à peu un Etat «en peau de léopard»

 

Rédigé par Lepoint.fr

Publié par Corbeaunews Centrafrique (CNC), le mardi 2 août 2022

 

Bangui (CNC) – Le pouvoir militaire de transition a perdu le contrôle d’une grande partie du territoire, au profit des jihadistes qui s’allient à des barons locaux et imposent leur loi

Un groupe de jihadistes maliens, à Tombouctou
Un groupe de jihadistes maliens, à Tombouctou

 

Au fil des semaines, les jihadistes montrent leur capacité à opérer dans les grandes villes maliennes et se rapprochent dangereusement de la capitale, Bamako, alors qu’ils s’en prenaient prioritairement aux zones périurbaines. Le 27 juillet, ils ont mené trois attaques en une journée à Kalumba (près de la frontière mauritanienne), à Sokolo puis à Mopti (villes du centre).

Cinq jours plus tôt, ils ont lancé une opération suicide, avec deux véhicules piégés, sur la garnison militaire de Kati, créée par Napoléon III et siège actuel du pouvoir, à 15 km de Bamako. La veille, une série de raids quasi simultanés ont pris pour cibles des postes de contrôle, une gendarmerie et un camp militaire dans plusieurs localités, notamment dans les régions de Koulikoro, Ségou et Mopti.

Le départ de l’armée française, qui abandonnera sa dernière base à Gao au mois d’août, a privé l’armée malienne de renseignement électronique, de couverture aérienne, d’appui logistique et de capacités à former des unités de forces spéciales. Il enhardit les combattants du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans
(GSIM, rassemblement de différentes factions qui ont fusionné avec al-Qaïda au Maghreb islamique en 2017), dirigé par l’ancien rebelle touareg Iyad Ag Ghali. Ces derniers ont retrouvé une plus grande liberté d’action, particulièrement la katiba Macina dirigée par le prédicateur peul Amadou Koufa, très active dans le centre, l’ouest et le sud du pays.

Le projet Armed conflict location & event data (Acled) déplore 2662 victimes sur les seuls six premiers mois de l’année 2022, contre 1913 pour toute l’année 2021.

Message.

Iyad Ag Ghali, Amadou Koufa et leurs lieutenants ont réorganisé leur stratégie.

Après avoir enrôlé des combattants particulièrement dans la communauté peule, ils ont ouvert un front contre l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) à l’est du pays, et multiplient les attaques dans le centre et, de plus en plus, vers Bamako. « Les jihadistes sont en train de démontrer qu’ils peuvent frapper en tout lieu, à tout moment et simultanément sur tout le territoire malien sans grand effort », confie un fin observateur de la zone.

Le GSIM se pose en protecteur des populations, à condition qu’elles n’entravent pas son projet en coopérant avec le pouvoir militaire. Il a aussi adressé un message politique au président de la transition, Assimi Goïta : en frappant à Kati, il lui indique qu’il n’est plus en sécurité dans son palais militaire.

Pour aller plus loin

« Le pays n’est plus contrôlé que sur un quart du territoire, poursuit cet observateur. C’est aujourd’hui un Mali en peau de léopard qui risque de passer sous l’influence des radicaux. A Moura, la population ne veut plus du gouverneur actuel. D’autres villes vont se lever dans les prochaines semaines. » Ces derniers mois, la katiba Macina a recruté énormément de combattants au sein des populations du centre, revanchardes à l’égard de l’armée malienne et des mercenaires de la milice russe Wagner qui ont commis de nombreuses exactions.

Alors que la situation sécuritaire se dégrade, les autorités de transition ont rompu avec leurs communiqués victorieux sur les soi-disant reconquêtes des forces armées maliennes (Fama). De facto, les Fama et les mercenaires alliés de Wagner ont réduit leurs opérations. Ces derniers sont présents à Segou, Sofara, Mopti, Tombouctou et Gao et Hombori. Ils se sont installés récemment à Menaka mais laissent le contrôle des check-points aux groupes armés locaux du MSA et du Gatia, également engagés aux côtés des autorités.

« Le populisme des autorités atteint ses limites, la réalité du terrain les rattrape, confie le chef d’un groupe armé malien. L’attaque de Kati a de facto discrédité le discours de la montée en puissance de l’armée malienne. »

 

Justice islamique.

 

Le foyer initial du terrorisme, à l’extrême nord et au nord du pays, est devenu plus calme. La Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA, mosaïque d’anciens groupes rebelles) a négocié un pacte de coexistence avec le GSIM. La première agit en premier rideau dans la gouvernance locale, le deuxième est souvent décisionnaire derrière la scène. Les deux parties ont mis en place une nouvelle forme de gouvernance, plus traditionnelle, avec une répartition des zones d’autorité entre leaders régionaux. La zone est administrée judiciairement à travers les « cadis ».

Ces juges islamiques sont aussi la voie de recours prônée par les combattants de l’Azawad qui demandent aux populations de leur soumettre leurs différends pour trouver des « décisions à caractère exécutoire ». La justice islamique a ainsi pris le pas sur la justice étatique, alors qu’il n’y a presque plus de présence administrative et militaire de l’Etat.

Cette dynamique devrait se poursuivre au centre du pays, dans la région de Mopti et le Plateau dogon. Le GSIM a miné les grands axes Nampala-Tombouctou et Douenza-Gao, où des pans de territoire sont inondés à la saison des pluies. Les jihadistes gèrent les circulations humaines dans ces zones sans s’attaquer à la gouvernance des grandes villes qui restent sous le contrôle de l’armée. Mais ils ont ainsi la possibilité d’étouffer les économies urbaines et de contraindre les villageois à la collaboration s’ils souhaitent évacuer leurs récoltes.

Devenus les maîtres de l’espace et du temps, ils ont ainsi la capacité de prélever des taxes (zakat) et se posent en intermédiaires en envoyant leurs cadis pour régler leurs micro-conflits locaux. Un de leurs prochains objectifs stratégiques pourrait être Ségou, capitale historique du royaume bambara, établie au XVIIe siècle.