vendredi, novembre 15, 2024
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« La justice internationale, c’est complexe, ça prend du temps, mais cela a de la persévérance » (deuxième partie de l’interview du porte-parole de la CPI, monsieur Fadi El Abdallah   )

 

Bangui, République centrafricaine – Dans cette deuxième et dernière partie de l’interview accordée par monsieur Fadi El Abdallah   , porte parole de la cour pénale internationale (CPI), nous avons abordé la question cernant les accusés centrafricains qui sont actuellement devant la cour, sur le mandat d’arrêt lancé contre un suspect, en l’occurrence monsieur Nourredine Adam, sur les victimes et sur la complémentarité avec la justice nationale. Pour monsieur Fadi El Abdallah   , « la justice internationale, c’est complexe, ça prend du temps, mais cela a de la persévérance ».

Le porte-parole de la CPI, monsieur Fadi El Abdallah
Le porte-parole de la CPI, monsieur Fadi El Abdallah

 

Corbeaunews-Centrafrique (CNC) : Monsieur porte-parole, trois anciens chefs de guerre centrafricains sont aujourd’hui détenus dans vos cellules en attendant de passer sur le box d’accusé, il s’agit de monsieur Alfred Yekatom alias Rambo, Patrice Édouard Ngaïssona et Mahamat Saïd Abdel Kani. Un mouvement rebelle qui a renversé l’ordre constitutionnel en République centrafricaine en mars 2013. Ils étaient tous des antagonistes. Comment vont alors se dérouler leurs procès ?

 Chacun passera la barre ?   

 

 

Fadi El Abdallah    (FEA) : Alors, devant la CPI, il y a la possibilité de joindre certaines affaires s’ils concernent les mêmes crimes allégués plus ou moins. Donc, nous avons une affaire contre monsieur Yekatom  et monsieur Ngaïssona. Par contre nous avons une affaire séparée contre monsieur Saïd, une affaire séparée contre monsieur Mokom etc.. Donc c’est pas forcément  parce que c’est le même pays qu’on va mettre tout le monde dans une seule affaire.

Cela dépend du type de crime poursuivi. Si c’est les mêmes crimes allégués dont on parle, il est possible d’avoir une affaire dans laquelle il y a plusieurs accusés, mais il est aussi tout à fait possible d’avoir un accusé par affaire.

Donc nous avons plusieurs affaires devant la CPI. Et concernant la Centrafrique, la seule affaire qui concerne deux accusés, c’est l’affaire concernant Monsieur Alfred Yekatom et Ngaïssona. Les autres affaires, chacun est accusé séparément des autres.

 

CNC : Monsieur porte parole en termes de la complémentarité de la justice, votre département est il en contact permanent avec celui de la Cour pénale spéciale en République centrafricaine?

 

FEA : Ce n’est pas mon département. Non, c’est plutôt la Cour elle même qui a des relations institutionnelles avec la justice centrafricaine et la justice spéciale centrafricaine. Nous avons des représentants sur le terrain. Il y a un bureau de la CPI qui est sur le terrain, qui a des contacts très réguliers avec les différents acteurs, y compris les acteurs judiciaires en République centrafricaine. Mais ici aussi, nous recevons des visites de part des hauts responsables du gouvernement et de la justice centrafricaine.

Et parfois il y a des hauts responsables de la CPI aussi qui vont en République centrafricaine pour avoir des rencontres avec les responsables centrafricains. Donc oui, il y a un échange très régulier avec la justice centrafricaine.

Le porte-parole de la CPI, monsieur Fadi El Abdallah
Le porte-parole de la CPI, monsieur Fadi El Abdallah

 

CNC : Et ceci m’amène à vous poser cette question. La Cour spéciale est chargée de juger une partie des crimes relevant de vos mandats est aujourd’hui en difficulté de réunir les preuves et de juger dans le pays. Je fais allusion à l’arrestation, et la libération manu militari d’un accusé actuellement ministre, Monsieur Hassan Bouba. Depuis cinq ans, cette juridiction hybride n’a organisé aucun procès véritable. La cour pénale internationale va un jour se pencher sur ces dossiers ?

 

FEA : Écoutez, de un, je ne peux pas parler des affaires devant une autre instance judiciaire que la CPI. On ne fait pas de commentaire sur le travail d’autres cours et tribunaux. De deux, je dirai que ce n’est pas que la justice spéciale en République centrafricaine qui traite des affaires qui relèvent de notre mandat de la CPI. C’est plutôt le contraire. La règle générale, le principe, c’est que la justice nationale adresse les affaires concernant  le pays. L’exception, c’est l’intervention de la CPI. Donc en réalité, le mandat et la responsabilité principale et première, c’est la responsabilité de la justice nationale centrafricaine concernant ces affaires. La Cour pénale internationale, elle, n’est intervenu que concernant certaines affaires pour lesquelles il était clair à ce moment là, pour le procureur de la CPI, qu’il n’y avait pas les moyens ou n’avait pas l’intention, au niveau national, de mener à bien des poursuites sérieuses concernant ces affaires, c’est ce qu’on appelle le principe de la complémentarité, qui dit qu’il faut laisser d’abord la responsabilité première à la justice nationale et uniquement si cela n’est pas possible. Le bureau du procureur de la CPI peut dans ce cas là, enquêter sur un nombre finalement assez limité des affaires concernant les personnes qu’il suspecte être les plus hauts responsables des crimes les plus graves. Mais le mandat et la responsabilité première demeurent avec la justice nationale.

 

CNC : Monsieur le porte parole, Alfred Yekatom et son chef Édouard Patrice Ngaïssona sont  devant la barre. Par contre, il y a aucun chef de Mahamat Saïd. Un mandat d’arrêt de la CPI ait lancé contre l’un des chefs de monsieur Mahamat Saïd, en l’occurrence monsieur Nourredine Adam. Celui ci court toujours est dans la nature, et l’accusé Mahamat Saïd plaide aujourd’hui non coupable devant la juridiction. Comment vous allez faire alors s’il décide de tout nier  et de renvoyer toutes les responsabilités  sur son chef par exemple Nourredine Adam. 

 

FEA : Il y a deux éléments dans cette question. La première concernant un mandat d’arrêt qui n’a pas été encore exécuté. Il faut rappeler que la CPI, ce n’est pas elle même qui exécute le mandat d’arrêt. Nous ne disposons pas de forces armées ou de police. Nous comptons sur la police nationale, sur le gouvernement. Lorsque un suspect qui est recherché par la CPI se retrouve sur le territoire d’un Etat partie à la CPI, il y a une obligation de coopérer avec la CPI pour l’arrêter et le remettre à la Cour.

S’ils sont en fuite, parfois, ça prend du temps jusqu’à arrêter quelqu’un. Mais c’est la responsabilité des États d’exécuter les mandats d’arrêt. La responsabilité de la CPI, c’est lancer des mandats d’arrêt, de faire des enquêtes et puis de juger. Mais l’arrestation, cela nécessite une force armée qui est nécessairement une force nationale.

L’autre élément de votre question, je dirais que chaque suspect est présumé innocent.

Donc, sauf si les juges trouvent qu’il n’y a aucun doute raisonnable sur sa culpabilité après le procès, cette personne est considérée innocente et nous les traitons ainsi. Et de deux, que chacun a le droit de présenter sa défense comme il le souhaite. Mais c’est le rôle du procureur de porter la charge de preuve sur ce qu’il dit. Donc le fait que quelqu’un est accusé de quelque chose et qu’il le nie, cela relève de sa façon de considérer la meilleure façon de répondre à l’accusation. Mais finalement c’est au procureur d’apporter la charge de preuve contre cette personne et c’est aux juges de la CPI de décider. Est ce que cette preuve est valable? Est ce qu’elle a de la valeur? Est ce que cela permet de dire qu’il n’y a aucun doute raisonnable sur la culpabilité de cet accusé ou de ce suspect? Vous voyez donc qu’il ne faut pas lier des choses qui ne sont pas liées. Les deux affaires que vous mentionnez sont séparées devant la CPI. Ce sont deux affaires différentes et l’affaire concernant monsieur Saïd, cela a commencé et c’est au procureur d’apporter la preuve et c’est au juge de décider si cette preuve est suffisante ou pas?

 

CNC : Monsieur porte parole, vous avez un mot pour les victimes et aussi pour le peuple centrafricain.

 

FEA : Il y a plusieurs messages importants, mais le plus important, c’est de comprendre que la justice internationale, c’est complexe, ça prend du temps, mais cela a de la persévérance. Donc même plusieurs années après, vous voyez que la Cour est toujours déterminée à mener à bien ses enquêtes, à mener à bien les affaires qu’elle a lancées concernant certains suspects pour des crimes qui auraient été commis en République centrafricaine.

Et c’est cette qualité qui est très importante. Le fait que le temps passe ne signifie pas que les affaires vont tomber dans l’oubli ou seront inactifs. Non, la CPI continue à être déterminée à mener à bien ses activités, à remplir son devoir à l’égard du peuple centrafricain et à l’égard des victimes. Et ce devoir, c’est d’essayer d’établir la vérité sur les accusations portées par le procureur contre les suspects et les accusés. Ce n’est pas la condamnation de ces personnes, c’est leur donner pleinement le respect de leurs droits, y compris la présomption d’innocence.

Et aussi d(assurer pleinement le respect des droits des victimes à participer devant la CPI, à demander réparation s’il y aurait des condamnations. La Cour est déterminée à accompagner le travail au niveau national, que ce soit le travail des autorités et de la justice nationale, mais également les activités de la société civile, des associations, des victimes pour faire entendre leur voix et faire valoir leurs droits.

 

CNC : Monsieur Porte-parole, merci !

FEA : Merci à vous également monsieur Ibrahim.

 

Propos recueillis par D. Y. Ibrahim au siège de la CPI à La Haye

 

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