CENTRAFRIQUE : QUE PENSER DE L’ACCORD DE PAIX SIGNÉ ENTRE TROIS FACTIONS DE L’EX-SELEKA ?
DE QUELLE PAIX PARLE-T-ON ?
Le communiqué, signé conjointement par trois factions rivales de l’ex-Séléka, est un accord purement interne. Fatigués par les affrontements fratricides qui les affaiblissaient et les menaçaient d’implosion, les rebelles ont préféré conclure une sorte de paix des braves, pour reconstituer l’unité de la Séléka de jadis. Avant de parvenir à cet accord, ils ont dû se répartir l’exploitation des mines d’or et de diamants, de même que la prééminence de l’autorité de chacun sur les provinces qu’ils occupent et administrent.
C’est pourquoi on ne peut pas parler de paix. La vraie est celle qui sera négociée avec les autorités centrafricaines et l’ensemble des Centrafricains, celle que le président Touadera propose depuis des années aux groupes armés et qu’ils ont, jusqu’à présent, rejetée avec obstination d’un revers de main.
Comme le souligne avec justesse Ange-Maxime Kazagui, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement : « nous aurions souhaité que ces discussions-là ne soient pas prises en compte avant d’être être mises sur la table du dialogue. Si non, cela peut donner l’impression d’un groupe de gens qui s’entendent officiellement sur quelque chose mais qui, peut-être, préparent autre chose… » En effet, ce communiqué de paix s’apparente à une diversion avant la réunion de N’Djamena. Rappelons que, jusqu’à maintenant, les factions de l’ex-Séléka ont toujours refusé la main tendue par le président Touadera pour un dialogue national. D’ailleurs, certains de leurs chefs n’ont jamais reconnu sa légitimité, alors qu’il a été démocratiquement élu.
LA PAIX SE NÉGOCIE ENTRE DEUX ENTITÉS
Pour faire la paix, il faut être deux : d’un côté, le gouvernement et le peuple centrafricains ; de l’autre, les factions armées sans exclusive.
Toutefois, il ne faut pas que le gouvernement tombe dans le piège grossier que lui tendent les ex-Sélékas, la France et le Tchad. En effet, les rebelles parlent toujours de paix et d’autonomie renforcée, mais refusent, dans le même temps, de se désarmer et de rejoindre la table du dialogue national proposée par les autorités centrafricaines. Ils continuent de gouverner les régions qu’ils occupent en dehors de toute légalité. Ils pratiquent déjà une partition de fait.
Tout concourt à faire penser que les séditieux cherchent à gagner du temps. Face aux FACAS de plus en plus opérationnelles et à l’armada russe qui se met en place, une certaine panique semble avoir gagné les rangs des bandes armées. Leur principale crainte, c’est qu’une coalition militaire russo-centrafricaine ne les affronte et, in fine, ne parvienne à les vaincre, à les désarmer et à arrêter leurs chefs pour les traduire devant la Cour Pénale Spéciale de Bangui.
LE PRÉSIDENT TOUADERA A-T-IL CHOISI L’OPTION DE LA GUERRE ?
Depuis le retour des Russes qui lui confère, désormais, les moyens de protéger sa population et de garantir la pérennité de l’intégrité de son territoire, le président semble avoir changé de paradigme : l’option guerre est dorénavant sur la table.
Le comportement de la France, de l’ONU et des forces internationales, était, jusqu’à maintenant, plutôt ambigu : elles tenaient un double langage et semblaient négocier secrètement avec les rebelles pour les encourager dans leurs funestes projets de partition. Les Russes sont venus, en quelque sorte, redonner de l’espoir aux Centrafricains.
Désormais, Faustin-Archange Touadera, engagé jusqu’alors dans la voie sans issue de la violence, semble décidé à faire le choix de la guerre, malgré les dégâts collatéraux qui ne manqueront pas de surgir, avec leurs lots de souffrances pour les populations. Il a été profondément déçu par les ambiguïtés de la MINUSCA, incapable de ramener la paix en terre centrafricaine et de protéger les populations des massacres des bandes armées – et celles de la France, l’amie de toujours, avec laquelle la République Centrafricaine a signé des accords de défense : ne disposant plus des moyens militaires pour agir sur plusieurs fronts, l’ex-puissance coloniale a préféré retirer sa force Sangaris, pour éviter de s’embourber dans le marigot centrafricain.
TRAQUENARD POUR TOUADERA
Pour Emmanuel Macron, le chef de l’État centrafricain est incapable de ramener la paix dans son pays. Il faut donc l’évincer de la présidence (la Françafrique gigote toujours), ou parvenir à un partage du pouvoir avec les ex-Sélékas et l’ensemble de leurs mercenaires : tchadiens, soudanais, darfouriens et nigériens. D’ailleurs, nous pressentons que ce scénario est en train de se mettre en place. Quelques événements confirment, ces temps-ci, nos soupçons :
1- le voyage du ministre français des Affaires Étrangères, Jean-Yves Le Drian, à Ndjamena pour rencontrer le président du Tchad, afin, semble-t-il, de concocter un plan qui forcerait Touadera à quitter le pouvoir. Décidément, Deby est l’homme des Français en Afrique centrale. Voir en lui une solution au chaos centrafricain, qu’il a contribué en partie à créer, est une lourde faute politique. En outre, Deby est actuellement dans une mauvaise posture : un groupe de rebelles tchadiens, qui a juré sa chute, vient de mettre ses soldats en déroute dans le Tibesti, à la frontière avec la Libye.
2- l’indécent projet de convoquer une réunion à Ndjamena, initiée par le Emmanuel Macron et tenue sous la houlette de Deby, avec les seuls chefs de guerre de l’exSéléka, en laissant de côté les autorités légitimes de la Centrafrique. C’est une provocation insupportable pour le pays. Cette gesticulation entre les dépeceurs du pays des Bantous constitue une reconnaissance de fait de la partition du pays en deux entités : chrétienne et musulmane. Or, la République Centrafricaine est UNE et INDIVISIBLE.
3- la réunion des principaux chefs de l’exSéléka dans le nord du pays à Moyenne-Sido, qui a jeté les bases d’une exploitation commune des matières premières et déterminé la manière dont ils comptent gérer la partition. Leur communiqué final ne laisse aucun doute sur leurs intentions : « nous avons évacué toutes nos divergences et avons décidé de nous unir, main dans la main, pour lutter contre le banditisme dans la zone de transhumance et dans toutes nos zones respectives. » On ne peut plus être clair : il s’agit de protéger les bergers peuls musulmans contre les sédentaires agriculteurs chrétiens, qu’ils traitent de bandits.
C’est un véritable programme de gouvernement, un défi aux autorités légitimes, un acte de guerre. Il ne reste plus à Touadera, soutenu par ses amis russes, qu’à affronter militairement les rebelles. L’entêtement des ex-Sélékas qui, soutenus et armés par Idriss Déby Itno, ont refusé tout dialogue, va sans doute mener le président à prendre cette décision particulièrement difficile. Mais peut-il désormais reculer ?
Par : JOSEPH AKOUISSONNE DE KITIKI
(18 août 2018)