À Son Excellence Monsieur Henri Wanzet-Linguissara
Ministre de l’Intérieur chargé de la Sécurité Publique, Bangui,, RCA
Excellence, Monsieur le Ministre,
Permettez que, à l’entame de cette missive, je vous félicite d’avoir posé une réaction publique à la notification qui vous a été faite d’un meeting organisé par une organisation aux membres bien identifiés, dans des buts d’intérêt public et de salut national, à savoir la conscientisation de la population sur les enjeux nationaux, l’éveil à la citoyenneté et l’invitation à participer à la chose publique. Vous tranchez ainsi positivement, et cela mérite d’être encouragé, avec une tradition bien connue de nous tous en la matière, qui se nomme esquive en silence ou encore perfidie silencieuse.
Cela étant dit, vous avez agi en tant que chargé de la sécurité publique de notre Etat et donc en tant qu’autorité de police administrative. Ce dont je déduis logiquement que l’acte que vous avez posé doit être réputé appartenir de la catégorie des décisions de police administrative.
En partant de cela, je me dois de vous signaler avant toute chose que, à supposer même que tous vos lecteurs soient vos familiers dans la vie courante, ce n’est guère le lieu, dans un tel acte, d’user à leur égard de votre cavalier « à bon entendeur salut ! ». Si vous voulez que l’on respecte la fonction qui est la vôtre, commencez donc par lui conférer la dignité qui lui revient. Pour cela, il suffit de pas grand chose : vous en tenir à la forme administrative requise.
Sur le fond de votre texte, j’ai choisi de me livrer au pêle-mêle de remarques qui va suivre.
- A propos de votre référence à une prétendue « aventure criminelle », à des procédures juridictionnelles qui seraient en cours et à une « responsabilité pénale ».
Primo, vous êtes, que je sache, autorité de police administrative et non de police judiciaire. Votre mission est par conséquent de prévention des troubles à l’ordre public. Elle diffère en cela, selon la distinction classique et élémentaire, de la mission de police judiciaire qui est de poursuivre et sanctionner les auteurs d’infractions déterminées, c’est-à-dire de violations consommées de la loi. C’est dire que vous n’avez aucune qualité, qui plus est dans une décision de police administrative, pour qualifier pénalement – qualifier de « criminelle » un comportement. Ce que vous faites néanmoins, et de surcroît avec une légèreté confondante, en vous asseyant sur la fameuse présomption d’innocence que vous et les autres membres de l’Exécutif n’avez cessé d’agiter quand il s’est agi de soustraire à la justice du peuple centrafricain vos désormais co-pactisants que sont les chefs de guerre, auteurs des massacres les plus infâmes, à grande échelle dans toute la République.
Secundo, je constate que c’est à propos d’une certaine manifestation du passé que vous vous êtes cru autorisé à recourir à cette qualification de « criminelle ». Il y a bien eu des morts à cette manifestation, et nous le déplorons tous. Mais croyez-vous que nous avons oublié que ces dignes filles et fils du pays sont tombés sous les balles de la MINUSCA ? Voudriez-vous nous faire avaler comme plausible que des leaders de la société civile auraient donné l’ordre aux forces internationales de tirer et de tuer, ou que leur esprit était si puissant qu’il se serait emparé du commandement des armes qui ont ôté la vie aux nôtres ?
De grâce, Monsieur le Ministre, ne persistez pas davantage dans l’injure à l’intelligence des Centrafricains.
- A propos du motif principal de votre « avertissement », à savoir « la fragilité sécuritaire de notre pays »
Figurez-vous, Monsieur le Ministre, qu’il y a plus attentatoire à cette fragilité sécuritaire qu’un meeting à UCATEX, rassemblement de citoyens sans armes dans un lieu qui, à notre connaissance, n’est pas une poudrière. Ce « plus attentatoire », ce sont ces bandes armés que vous appelez « partenaires pour la paix » qui circulent librement dans le pays, tuant, violant et brulant ici et là, et qui circulent même illégalement au regard de votre Accord de Khartoum qui leur enjoignait de désarmer dans les 90 jours. Nous savons que vous avez connaissance par anticipation de leurs déplacements et de leurs projets funestes. Et, comme vous faites croire que vous mettez un point d’honneur à prévenir les troubles à l’ordre public, ordre public qui comprend la protection des personnes et des biens, allez-y donc sur ce terrain. Vous ne manquerez pas de travail.
Et puis, il y a aussi tous ces déplacements d’un certain parti, assortis de meetings pré-électoraux, à grands frais d’Etats dans tout le territoire. Pourquoi l’idée ne vous est-il jamais venu d’avertir leurs organisateurs. Serait-ce que tout cela se passerait dans un pays autre que le nôtre, épargné par la fameuse « fragilité sécuritaire ? A moins que ce soit parce qu’il y aurait, comme à la météo, des éclaircies de sécurité couvrant nos 623.000km2 ?
Soyons sérieux, Monsieur le Ministre. Les pouvoirs de police administrative ont beau être des pouvoirs exorbitants, ils ne sont pas soustraits à la règle impérative de non discrimination. Les mêmes actes posés dans les mêmes circonstances étant porteurs des mêmes risques pour l’ordre public, vous vous devez de leur appliquer le même traitement. A moins, bien sûr, que l’arbitraire soit votre cheval de bataille.
- A propos de votre affirmation selon laquelle vous disposez d’éléments faisant état de projets d’attentats terroristes par des personnes connues de vos services.
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De là où nous sommes, c’est-à-dire à Ë ZÎNGO BÎANÎ et de notre position de simples citoyens, les seules menaces contre le meeting d’UCATEX dont nous ayons été informés sont celles que profèrent, jusque sur les ondes de notre radio nationale avec la complicité des autorités, les membres d’une certaine organisation appelée « les Requins », que vous connaissez forcément puisqu’ils sont la milice du pouvoir. Et comme vous les connaissez mieux que quiconque ce groupe d’individus, je note avec intérêt que vous les tenez, et appelez tous les centrafricains, pour terroristes. Soit.
Mais ce n’est là qu’une incidente. Le plus important que je veux vous dire est le suivant : savez-vous que le fait de savoir oblige la puissance publique à agir préventivement, et que en ne le faisant pas c’est la responsabilité de la puissance publique qui serait engagée pour les faits dommageables qui surviendraient du fait de cette absence d’intervention, et donc, pour ce qui nous nous concerne, du fait de la non-neutralisation de ces présumés terroristes biens connus de vos services ?
Votre devoir, faut-il le rappeler, est de protéger les citoyens dans l’exercice de leurs libertés constitutionnelles, dont la liberté de manifester et la liberté de réunion. Et non de créer artificiellement et arbitrairement des entraves.
- In fine, en définitive, qu’est-ce qu’il est en réalité, votre texte ?
J’avais commencé par dire que vu le contexte, l’acte que vous avez posé était réputé être une décision de police administrative. « Réputé », parce que c’est ce qu’il devrait être en théorie. Mais est-ce bien le cas en pratique ?
Plus haut, j’ai montré que cet acte n’avait pas grand chose à voir avec la police administrative. Reste donc seulement à savoir si l’on a affaire à une «décision ».
En matière de police administrative, les décisions sont de deux ordres, et de deux ordres seulement : autorisation ou interdiction.
J’ai beau scruter votre texte, je ne trouve mention ni de l’une ni de l’autre. Bien sûr, il ne m’a pas échappé que vous prétendez avoir notifié « de vive voix » une décision au Coordonateur de Ë ZÎNGO BÎANÎ. Ceci est un travestissement de la vérité comme les personnes présentes à cette rencontre l’ont montré. Mais à supposer même que cela soit le cas, le seul document qui aurait fait foi, votre texte, ne réitère pas cette décision. Au lieu de quoi, vous « prenez à témoin l’opinion nationale et internationale » et vous énoncez un « avertissement ».
Voilà tout ce qu’est en réalité votre texte : un communiqué dépourvu de toute décision et, a fortiori, de toute décision d’interdiction. C’est donc un non-acte, ce que les juristes seraient tentés de qualifier d’acte inexistant.
Or, en matière de police administrative, et dans un Etat de droit, ne dit-on pas que ce qui n’est pas interdit est autorisé ?
Considération républicaine et patriotique.
Jean-François AKANDJI-KOMBE
Président de Citoyens Debout et Solidaires Centrafrique (CDS-CA), organisation membre de Ë ZÎNGO BÎANÎ – Front Uni pour la Défense de la Nation.