CENTRAFRIQUE : LES SCORIES DE LA COLONISATION
Bangui, le 11 octobre 2017.
Par : Joseph Akouissonne, CNC.
UN DÉCOUPAGE TERRITORIAL ABERRANT, UNE MONNAIE DE DOMINATION
L’instabilité règne dans toute l’Afrique Centrale. Les pièges du désordre laissé par les colons pour contrôler les territoires, même souverains, n’ont pas fini de fonctionner. Ils poursuivent leur funeste œuvre de destruction. Et on ne voit pas comment on pourrait les empêcher de continuer à faire plonger le sous-continent dans le chaos. CENTRAFRIQUE, TCHAD, CAMEROUN, pour ne citer que ces pays-là, sont déstabilisés par des rébellions sanglantes et récurrentes sur leur territoire. C’est là le résultat d’un découpage géographique et sociologique qui devait permettre de continuer à diriger ces pays après les Indépendances et à faire main basse sur leurs richesses.
Contrôle politique et économique : l’emblématique franc CFA est la figure de proue du contrôle de la France sur l’économie de ses ex-colonies. Est-ce qu’il n’est pas suffocant de constater que les réserves en or des pays africains francophones sont stockées dans les sous-sols de la banque de France à Paris ? Qu’un pays comme la République Centrafricaine ne peut engager des transactions stratégiques ni battre monnaie sans demander l’autorisation de la France ? La Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) est surveillée depuis Paris par les autorités financières françaises. Les billets de francs CFA et les pièces de monnaie qui circulent en Centrafrique et dans les ex-colonies françaises sont toujours fabriqués en France.
Dans ces conditions, comment les autorités centrafricaines pourraient-elles avoir prise sur la conduite de leur économie et le devenir de leur pays ? Elles ne peuvent prendre aucune décision sans en référer au grand Manitou blanc ! Les voilà devenues gardiennes du temple des intérêts français en Centrafrique.
DES INDÉPENDANCES CANADA-DRY
Le rappel qui précède suffit à prouver, pour ceux qui en douteraient encore, que les indépendances de certains pays africains sont des fictions. Écrites par les puissances coloniales pour leur seul profit.
La République Centrafricaine en est un exemple emblématique. Jamais pays indépendant et souverain n’a eu des rapports aussi compliqués avec l’ancienne puissance coloniale. Rapports de domination et de soumission à la fois. Depuis la disparition tragique – et toujours non élucidée – de Barthélémy Boganda, le père de la Nation des Bantous, tous les Présidents de la République Centrafricaine, à l’exception d’un seul, se sont emparés du pouvoir sans passer par les urnes. Et ce, avec l’aide de la France et par la force. Perpétuant une domination néocoloniale, la France est la véritable patronne, celle qui assure les fins de mois des fonctionnaires et qui change de personnel politique quand bon lui semble. Quant aux aides internationales, celles qui sont destinées au développement et au bon fonctionnement des administrations, elles sont systématiquement détournées par des ministres et des hauts fonctionnaires prédateurs. La population, elle, croupit dans une pauvreté abyssale, subissant comme un martyre et de plein fouet les impunités et les injustices qui la laissent exsangue. Excepté pendant la période Bokassa, la République Centrafricaine a dansé sur une corde tendue au-dessus d’un volcan en éruption. Il faut tout faire pour qu’elle ne tombe pas dans la profondeur infernale de l’abîme.
UN APPÂT DE CHOIX POUR DES AVENTURIERS EN QUÊTE DE BUSINESS
Pendant la colonisation, la France ne s’est pas préoccupée de l’industrialisation du pays. C’était son dernier souci. En Centrafrique, il n’existe d’ailleurs aucune manufacture digne de ce nom. Toutes les matières premières étaient exportées vers l’Hexagone pour faire tourner les industries françaises au détriment des Oubanguiens. Les colons, à qui on avait cédé l’Oubangui-Chari à la découpe, n’étaient préoccupés que par l’exploitation des mines – diamant, or – et la culture de matières premières agricoles – coton, sisal, café – au détriment de l’agriculture vivrière.
C’était le temps de la chicotte. Les paysans qui n’atteignaient pas le quota fixé étaient punis à coups de fouet par les intendants brutaux et cruels des sociétés concessionnaires. C’était le temps du travail forcé. Ces intendants, des petits blancs, rebuts de la société française, adeptes de la suprématie blanche, se comportaient en despotes cruels. Aventuriers sans foi ni loi, ils régnaient en maîtres absolus sur les paysans, forcés de travailler au profit des sociétés concessionnaires.
L’uranium, celui de Bakouma, a servi à mettre au point la première bombe H française. Les bois précieux de la forêt centrafricaine ont été utilisés pour construire les voilures des avions de combat français. Les Oubanguiens ont été forcés de participer massivement à la construction du chemin de fer Congo-Océan, destiné essentiellement à acheminer les matières premières vers l’Europe. Beaucoup d’entre eux y perdirent la vie. Ne parle-t-on pas de deux morts par traverse ?
L’Oubangui-Chari existait bel et bien, mais d’abord comme source de matières premières pour la France. Ses habitants étaient dépossédés de leurs biens. Les écoles étaient rares. A l’époque, les Oubanguiens lettrés étaient affublés du sobriquet de Monzou Vouko (Blanc Noir), comme disait Franz Fanon : « Peau noire, masque blanc ». Ils se comptaient sur les doigts d’une main.
Dès lors, les pièges étaient en place pour qu’une indépendance fiction soit accordée à une population infantilisée et démotivée.
UN CHAOS COROLLAIRE DU PASSE COLONIAL
Le doute existe. Étant donné les pièges laissés par la colonisation, la République Centrafricaine est-elle prête à retrouver la sérénité ? Paix (SIRIRI) et réconciliation nationale ne surgiront qui si le gouvernement et les politiciens changent radicalement de comportement. Il faut qu’ils retrouvent leur patriotisme et s’arrachent des griffes des prédateurs étrangers. Qu’ils deviennent les protecteurs de leur pays et de leur peuple. Où sont passés les députés de ce pays ? Pendant que leur patrie brûle, on ne les entend pas. Ils sont portés disparus. Pas de commentaires. Pas de questions au gouvernement sur l’insécurité chronique qui sévit en Centrafrique.
Pas davantage de missions dans les provinces, occupées par les séditieux, pour rassurer et secourir les populations. Les massacres se succèdent à un rythme effréné sans émouvoir les représentants du peuple. On se demande à quoi sert cette Assemblée Nationale de pantouflards, qui ne sont là que pour se rapprocher des deniers de l’Etat.
Quant au gouvernement Sarandji II, avec le boulet des ministres issus de l’ex-Séléka dont la présence est insupportable, il affronte une situation qui ne cesse de s’aggraver. Le piège grossier, tendu par les rebelles depuis Rome et Libreville, fonctionne à merveille. Les Centrafricains ne croient plus au pseudo-dialogue de paix. Il est regrettable d’envisager cette configuration, mais on peut légitimement penser que, désormais, seule la force fera plier les rebelles. On voit mal les chefs de bandes déposer les armes sans avoir obtenu une amnistie générale.
LA MINUSCA PASSE ENFIN A L’ACTION
Une action vigoureuse vient d’être menée par l’organisation onusienne pour libérer la ville de Bocaranga. Voilà l’exemple à suivre pour déloger les rebelles des provinces, des mines d’or et de diamants qu’ils ont envahies avec l’aide des mercenaires. Si la MINUSCA avait agi de la sorte dès le début du conflit, nous n’en serions pas là.
La force qui a libéré Bocaranga était composée de soldats d’élite, portugais et rwandais, appuyés par des hélicoptères sénégalais. Pour une fois, semble-t-il, que la MINUSCA engage le combat pour remplir sa mission de protection de la population, il faut l’encourager à poursuivre dans la même direction. Peut-être est-ce l’effet de la feuille de route que lui a confiée l’Union Africaine ? Si l’UA s’engage vraiment aux côtés des Forces Centrafricaines et de la MINUSCA, tout espoir sera permis. Une aube nouvelle, imprégnée de paix (SIRIRI) et de réconciliation, se lèvera, enfin, à l’horizon.