Centrafrique : LES BAILLEURS NE DÉBLOQUENT-ILS QUE PARTIELLEMENT LES FONDS ?
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Bangui, le 4 septembre 2017.
Par : Joseph Akouissonne, CNC.
URGENCES
Il est indéniable que le chaos persistant génère une insécurité qui ne rassure pas les donateurs. Ils peuvent craindre que leur argent ne soit investi à perte dans un pays au bord de l’abîme.
La population, déboussolée, est en errance. Les exilés, de l’intérieur et de l’extérieur, se comptent par milliers. La jeunesse, traumatisée, voit son avenir compromis. Les hôpitaux sont devenus des mouroirs, les pathologies ne peuvent être soignées. Les routes qui drainent le pays sont, aujourd’hui, des pistes impraticables. L’agriculture a été abandonnée par les paysans qui fuient les violences. Le centre-ville de Bangui, en ruine, doit être réhabilité en urgence.
Le pays est occupé à 60% par des séditieux. Une violence indicible y règne : 30 morts en moyenne par jour. Ceux qui veulent faire croire que la situation s’arrange et que la paix revient, habitent certains quartiers protégés de la capitale, ville-illusion. Dans les provinces occupées par les ex-Sélékas, c’est la terreur. On comprend, dès lors, que les bailleurs de fonds hésitent et deviennent méfiants.
Mais voilà ! Les populations ruinées attendent, angoissées, que leur sort s’améliore. S’il faut que le chaos cesse avant de débloquer les fonds, c’est comme si on demande à un malade d’attendre que la fièvre tombe avant d’être soigné. Il faut injecter ces fonds, même pendant les violences. Car la population, exsangue, espère avec impatience le début du redressement du pays.
On peut très bien débloquer les ressources promises pour les consacrer aux nombreuses urgences. Il n’en manque pas. Il y a fort longtemps que Bangui-la-Coquette a perdu sa coquetterie : artères défoncées et impraticables, causes de nombreux accidents mortels, bâtiments administratifs dont l’entretien laisse à désirer ou, tout simplement, en ruine. L’hôpital de l’Amitié de Bangui est, par exemple, dans un état de délabrement et de décomposition inimaginable.
Dans les provinces, c’est une calamité sans nom. Les préfectures et les sous-préfectures sont dans un état lamentable. Les mobiliers ont été dérobés par les Sélékas et leurs mercenaires. Les écoles, les hôpitaux et les dispensaires de province ne sont pas dignes d’une République comme la Centrafrique.
Ceux qui ont dirigé le pays avant ont une part de responsabilité écrasante. Jean-Bedel Bokassa été un dictateur, il a tué des innocents, mais, il faut le reconnaître, il avait un sens aigu du patriotisme. A son époque, Bangui méritait bien son surnom de Coquette. Les artères étaient entretenues et praticables. Des bâtiments administratifs étaient construits.
Aujourd’hui, ils sont en ruine, à cause des mauvaises gouvernances successives. L’intrusion des Sélékas à Bangui a fini le saccage du pays des Bantous.
DES PISTES POUR DONNER DE L’OXYGÈNE AU PAYS
Quand la décision de débloquer des fonds a été prise à Bruxelles, un immense espoir s’est levé et des hourras ont salué le surgissement de cette aubaine ! Du fond de leurs ténèbres, les Centrafricains voyaient poindre, enfin, la reconstruction de leur pays, qui allait être un facteur de stabilité. C’est dire à quel point les fonds sont attendus.
Malgré l’insécurité, les occidentaux bailleurs des fonds de Bruxelles n’ont-ils pas les moyens de surveiller militairement, avec les autorités centrafricaines, l’utilisation de ces ressources dans le pays ?
Par ailleurs, une table ronde des bailleurs de fonds, à Bangui même, est annoncée pour le mois de novembre.
Sera-t-elle différente de celle de Bruxelles ? Des décisions plus fortes seront-elles prises ? Les besoins de développement sont tellement immenses ! La persistance des problèmes économiques majeurs crée tellement d’injustice sociale et d’instabilité.
Si les bailleurs de fonds sont méfiants et manquent d’ardeur c’est parce que les dirigeants centrafricains sont perçus comme des pilleurs des caisses de l’État. Les auteurs de ces prévarications bénéficient souvent d’une impunité scandaleuse et choquante.
Cette réunion, initiée par le Fond Monétaire International, permettra-t-elle enfin, que l’on passe du stade des promesses à celui de leur exécution ?
L’ENGAGEMENT NÉCESSAIRE DES AUTORITÉS CENTRAFRICAINES
Le gouvernement doit impérativement s’engager pour assurer un suivi et une gestion irréprochable des fonds. Il faut absolument barrer la route aux pilleurs des caisses de l’Etat. On pourrait mettre en place une gestion bilatérale, confiée en même temps au gouvernement centrafricain et à des représentants de la communauté internationale.
Les Centrafricains en ont assez des détournements d’aides restés impunis. Est-ce qu’ils n’attendent pas encore les résultats de l’audit sur les fonds d’aides américains et angolais, qui auraient été détournés sous le gouvernement de la Transition ? On est à peu près certain que des auteurs de pillage des fonds de l’État sévissent toujours à Bangui sans être inquiétés – et que, malheureusement, d’autres prédateurs, dépourvus de tout patriotisme, attendent avec avidité les mannes à venir. L’impunité ne doit plus être tolérée.
JOSEPH AKOUISSONNE
(2 septembre 2017)
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