Bangui (Corbeaunews-Centrafrique) – Après l’effondrement de la république en 2013 avec les conséquences néfastes qui en dérivent, la construction de l’ouvrage démocratique se fonde inévitablement sur le respect du principe de séparation de pouvoirs édicté par Montesquieu et plus particulièrement le respect de la loi fondamentale. Le conseil constitutionnel qui a pris une importance croissante dans ce processus de construction démocratique en est le garant du respect de la constitution. La constitution du 30 mars 2016 étant une œuvre humaine est éligible à des modifications en vue de l’adapter aux réalités du moment mais le choix de l’opportunité et le respect des formes édictées par les textes doivent être les principaux leviers à activer. La crise sanitaire mondiale née du coronavirus est devenue un prétexte parfait pour nos autorités établies de tripatouiller la constitution en initiant des scénarios inédits, incohérents et maladroitement agencés. Le tâtonnement notoire et abusif dans les procédés utilisés en passant d’abord par des rumeurs publiques, ensuite une proposition de loi initiée par une horde de députés acquis au pouvoir et maintenant la proposition de loi se mue brutalement en projet de loi délibéré en conseil des ministres pour modifier et compléter certaines dispositions de la constitution du 30 mars 2016 en vue d’y intégrer la notion de « force majeure ». Ainsi, sans le vouloir de façon expresse, le pouvoir de Bangui a épuisé les deux procédés de révision constitutionnelle prévue par l’article 151 de la constitution qui dispose que : « l’initiative de la révision de la constitution appartient concurremment au président de la république et au parlement statuant à la majorité des 2/3 des membres qui composent chaque chambre ». Sachant que la modification de la constitution par voie référendaire ne devrait aboutir, le pouvoir a jugé mieux se rabattre sur la voie parlementaire car la majorité présidentielle se confond avec la majorité parlementaire. Parallèlement à ce désarroi, la Cour constitutionnelle au delà de ses missions consultatives et juridictionnelles s’invite dans l’arène pour torturer aussi la constitution en s’adjoignant une nouvelle mission en auditionnant les personnalités politiques en vue d’une hypothétique concertation. Constatant le péril imminent de l’architecture démocratique, le citoyen lambda s’interroge : Qu’entendez-vous par la notion de « force majeure » si n’est qu’un « fourre-tout » susceptible de mettre en danger permanent la rigidité de notre constitution consacrée par l’article 35 ? La modification constitutionnelle envisagée respecte t-elle les normes et procédures constitutionnelles ? A qui profiterait véritablement cette modification de la constitution imposée mordicus ? Quelles seront les incidences de la modification des articles 35 et 68 sur les dispositions de l’article 153 qui exclut toute révision avec des clauses qui empêchent la malléabilité de la constitution ? La constitution remaniée prendra t-elle en compte la nouvelle mission de la Cour constitutionnelle relative à la concertation ? Qu’est-ce que le peuple souverain peut-il encore attendre d’une cour constitutionnelle que le président de la république a lui-même corrompu ? Fort de ce qui précède, nous tenons à souligner que le pouvoir est le seul à connaître les véritables motivations de la modification de la constitution qui ne peut être autre chose qu’une technique de monopolisation du pouvoir par voie légale. Pour éviter un risque incontournable d’embrasement en l’absence du sénat, l’impasse politique et juridique créée par l’éventuel effet du coronavirus passe nécessairement par un consensus politique et républicain, unique gage de la consolidation démocratique et de la sécurité juridique. Ainsi, il urge de bannir toute modification de la constitution pour des intérêts égoïstes car elle peut impacter l’alternance politique en légitimant au passage les coups d’état tant décriés par les organisations panafricaines et l’ONU. Pour finir et à titre de rappel, lors du 33eme sommet des chefs d’état africains tenu à Addis Abeba (Éthiopie) les 9 et 10 février 2020, le président de la commission de l’Union Africaine avait mis en garde contre le tripatouillage des constitutions…nous estimons que notre chère nation ne fera pas exception. Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Paris le 29 mai 2020.