Bangui (CNC) – La formation d’un gouvernement dit inclusif est la première étape du processus de mise en œuvre de l’accord de paix de Khartoum. Après consultation et sur proposition du nouveau premier ministre, le décret n*19.063 du 03 mars 2019 a rendu public la nouvelle équipe gouvernementale. On remarque d’emblée une équipe pléthorique et budgétivore de trente six (36) ministres dont deux (2) ministres délégués. Il n’y a pas de ministres d’état ni de secrétaires d’état.
Il faut relever que la nouvelle équipe gouvernementale centrafricaine représente en terme d’effectif deux (2) pays moteurs de l’Union Européenne que sont la France (21) et l’Allemagne (15). Un effort particulier a été fait dans la féminisation du gouvernement avec 8 femmes sur 36 soit moins 1/4 mais cet effort reste insuffisant pour répondre au principe de parité reconnu par la constitution du 30 mars 2016.
Une vingtaine de ministres sont reconduits, les ministères régaliens demeurent inchanger et aucun départ remarquable n’a été enregistré. La lecture synoptique de ce fameux gouvernement dit inclusif confirme que l’appartenance régionale comme critère de sélection est une réalité centrafricaine. Ne pas l’admettre ou l’occulter, c’est faire preuve de naïveté et d’hypocrisie intellectuelle.
S’agissant de l’inclusivité du gouvernement selon l’esprit des accords de Khartoum, l’article 21 de l’accord de Khartoum est demeuré muet sur la répartition de postes ministériels c’est à dire pas de quota ni de taille. Ainsi les quatorze (14) groupes armés indépendants occupants chacun une portion du territoire national se partage six (6) postes ministériels.
Ce comportement de novice et d’amateur confirme le mépris, la méconnaissance des enjeux politiques et sécuritaires : c’est le noeud du profond désaccord qui entraîne des démissions en cascade et la dénonciation hésitante des accords fêtés avec des selfies jubilatoires.
Il est évident qu’aucune formation de gouvernement au monde n’a fait l’unanimité mais il faut honnêtement l’avouer que le pouvoir n’a pas agit en bon père de famille dans la répartition de portefeuilles ministériels qui devrait être guidée par la théorie de l’équilibre.
Face à l’absence de consensus sur la nouvelle équipe, le citoyen lambda, toujours victimes des turpitudes politiciennes s’exclame et s’interroge :
Le gouvernement dit inclusif est-il en conformité aux exigences de l’accord de Khartoum ? S’agit-il d’un gouvernement inclusif, d’une continuité ou d’une nouvelle transition politique ? En d’autres termes, s’agit-il d’un aménagement ou d’un ajustement technique ? Avec 21 maintiens au gouvernement et 15 nouveaux partagés entre les groupes armés et les partis politiques, où est l’inclusivité du gouvernement ? Si tel est le cas, pourquoi changer de premier ministre même décrié dès lors que l’ossature du gouvernement reste la même avec de postes régaliens inchangés ?
Le concept de gouvernement inclusif placé dans le contexte des accords de Khartoum ne concerne t-il pas les ministères régaliens ?
Constitué de caporaux et d’écoliers, ce gouvernement répond t-il aux critères de compétences intellectuelles et technocratiques requises pour occuper des postes ministériels ? Ce gouvernement n’est-il pas constitué de personnalités sous sanction de l’ONU ou interdits d’exercer dans la fonction publique civile et militaire conformément aux dispositions de l’alinéa 3 de l’article 28 de la constitution ? Au nom du principe d’équité, comment peut-on octroyer six (6) postes ministériels aux quatorze (14) groupes armés indépendants avec des troupes et territoires occupés ?
Face à l’élégante valse inédite de démission alors qu’aucun conseil de ministres n’a encore lieu, faut-il abroger le décret portant nomination ou confirmation des membres du gouvernement ? Logiquement, il est irréversible qu’un faux départ entraîne inévitablement une disqualification, un avertissement ou du moins une pénalité pour le sportif mais au delà de toute considération, il est avéré que rien ne justifie le maintien d’une vingtaine de ministres d’un gouvernement qui a lamentablement échoué en lui attribuant dans le même temps le qualificatif « d’inclusif ».
Cette erreur de casting du nouveau premier ministre ne peut remettre en cause sa légitimité qui dérive du pouvoir discrétionnaire du président de la république prévu par les dispositions de l’article 33 de la constitution.
Il est également important de rappeler qu’on peut connaître un faux départ et se rattraper dans une course d’endurance. Ainsi, dans le souci de donner une chance à la paix que l’autre disait qu’il n’a pas de prix, nous demandons aux différents acteurs de la crise centrafricaine de s’abstenir de s’agiter négativement et de faire recours aux dispositions de l’article 34 de l’accord qui prévoient la procédure contentieuse en cas de désaccord ou de violation du dit accord. Dans ce contexte, il urge de mettre en place le comité de suivi prévu à l’article 34 des accords de Khartoum. Afin d’éviter les sanctions répressives prévues par l’article 35 de l’accord, nous invitons les parties signataires de ne pas sous-estimer l’ampleur de la crise et d’arrêter de prendre des décisions unilatérales, sans concertation au risque d’heurter les sensibilités. Pour finir et par souci de réduire le fossé intellectuel entre les ministres synonyme du ridicule, il est préférable que le nouveau premier ministre soumette à la signature du chef de l’état un nouveau gouvernement à la hauteur du défi.
Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Paris le 08 mars 2019
Bernard SELEMBY DOUDOU
Juriste, Administrateur des élections
Tel : 0666830062