C’est un symbole fort : en Centrafrique, les FACA forces armées centrafricaines se sont réinstallées le 18 mai à Kaga-Bandoro, une ville tenue par deux mouvements rebelles, le MPC de Al-Khatim et le FPRC de Noureddine Adam. Ce retour de l’Etat est salué par l’un des leaders de la classe politique centrafricaine, Martin Ziguélé, député et président du parti MLPC. Selon lui, le processus de Khartoum permettra d’avancer vers la paix sans sacrifier la justice… Dans un contexte où les regards commencent à se tourner vers les prochaines échéances électorales, fin 2020, Martin Ziguélé appelle cependant les autorités à ne pas céder à certaines tentations en matière de pluralisme ou de liberté d’expression. Martin Ziguélé, au téléphone avec Laurent Correau.
RFI : Une centaine de membres des Forces armées centrafricaines, les Faca, sont revenues à Kaga-Bandoro après cinq ans d’absence. C’est un redéploiement symbolique. Et il intervient après d’autres retours de militaires à Paoua, Bouar, Bangassou ou encore d’autres localités de l’intérieur. Est-ce qu’on peut dire que l’État reprend progressivement le contrôle de l’intérieur du pays ?
Martin Ziguélé : Oui, on peut dire cela. Et on peut même ajouter que c’est la preuve que l’accord, même s’il a suscité des débats et qu’il continue à susciter des débats, marche parce que l’essentiel comme disait quelqu’un, c’est que le mouvement permette d’aller de l’avant. Aujourd’hui, c’est à Kaga-Bandoro. Nous en sommes très satisfaits, mais demain, il faut que les Faca arrivent à Bria, à Ndélé, à Birao, à Zako, à Obo. Après plusieurs années de guerre, un accord de paix n’est que la traduction politique du rapport de force sur le terrain. L’Etat n’a pas fait le choix politique de faire la guerre, l’Etat n’a pas les moyens de faire la guerre. Les forces internationales qui assistent l’État centrafricain ont dit de manière très claire qu’elles veulent accompagner une dynamique de paix. Et je pense que cet accord indique le chemin pour aller vers la paix. Ça va être difficile, mais c’est le chemin le plus réaliste, en tout cas le chemin le plus économe en matière de vies humaines.
Est-ce que vous avez l’impression comme d’autres que le processus actuel fait le sacrifice de la justice au bénéfice de la réconciliation ?
L’impression que j’ai, c’est que la justice n’est pas sacrifiée. Mais il y a un temps pour tout, il faut être réaliste. Il ne faut pas demander de manière concomitante à la fois mettre en prison les personnes avec qui vous signez l’accord de paix, et à la fois obtenir la paix. Donc la justice fera son travail. Mais la justice a une démarche, il y a une démarche d’instruction. Il y a une démarche de mise en œuvre des différentes procédures pour que les uns les autres puissent rendre compte de ce qu’ils ont fait. Parmi ceux qui étaient à Khartoum, personne n’a perdu de vue que la question de la justice est centrale. L’opinion nationale est très vigilante sur cette question parce que la crise centrafricaine, c’est une crise à rebondissements depuis un certain nombre d’années. Et tout le monde a bien compris qu’il faudra qu’on arrive à la case justice. Il y a des victimes, vivantes au sein de la population centrafricaine. Il y a des enfants des victimes, il y a des veuves, il y a des orphelins. Il y a tout ce monde qui a souffert de cette crise. Et donc je ne sais pas par quelle alchimie on peut dire, on ne tient pas compte de tout cela.
Le jeu politique centrafricain s’est enrichi depuis la fin de l’année dernière d’un nouveau venu, le Mouvement cœurs unis (MCU), un mouvement qui soutient le président, Faustin-Archange Touadera. Quel est le regard que vous portez sur la place que prend ce nouveau venu sur la scène politique centrafricaine ?
Lorsqu’un parti était au pouvoir ou du pouvoir, il y a des forces à l’intérieur de ce parti politique, ou il y a des personnes à l’intérieur de ce parti politique qui oublient que les partis politiques concourent à l’expression de l’opinion, mais ne peuvent pas se substituer à l’État, et on peut avoir une tendance à l’hégémonie. Il revient aux Centrafricains dans leur ensemble de veiller à ce qu’aucune force politique ne puisse se comporter comme un parti État. Nous veillons, nous MLPC, et je pense que c’est le cas d’autres forces politiques aussi, nous veillons comme à la prunelle de nos yeux, à ce que la diversité d’opinion soit maintenue dans les faits et dans les actes, nonobstant les tendances ou les tentations qui peuvent pousser les uns et les autres vers cette direction.
Est-ce que vous avez le sentiment que de telles tentations existent à l’heure actuelle ?
Elles sont possibles, parce qu’elles sont dans la nature des choses.
La mécanique politique se remet progressivement en route dans la perspective des élections de décembre 2020. Serez-vous de nouveau candidat dans 18 mois à l’élection présidentielle ?
Je suis président du MLPC [Mouvement de libération du peuple centrafricain]. C’est l’un des rares partis politiques centrafricains qui dit que le président du parti n’est pas automatiquement son candidat aux élections. Il y aura un congrès certainement du parti avant les échéances que vous citez. Et le parti avisera.
Est-ce que vous serez candidat à la candidature ?
Je suis militant, donc je suis susceptible d’être candidat comme beaucoup d’autres. Mais aujourd’hui, ce qui me préoccupe, c’est la paix dans mon pays et le reste viendra naturellement.
Dans quel climat politique d’ailleurs cette précampagne s’installe-t-elle par rapport aux libertés, notamment aux libertés d’expression et de réunion ?
Ces derniers temps, il y a eu des mouvements de la société civile. Il y a eu même des arrestations d’un certain nombre de personnes, en l’occurrence Beninga Crescent de la société civile [porte-parole du Groupe du travail de la société civile (GTSC])]. Moi, j’ai fait un appel pour demander sa libération parce que j’ai dit, c’est normal que dans un pays qui aspire à être démocratique, il y ait des hommes, des femmes qui jugent des actes posés par l’État, qu’ils soient d’accord ou pas d’accord, et qu’ils l’expriment, mais sans violence. L’État ne doit pas se raidir, l’État ne doit pas faire la même chose que ceux qui luttent contre les libertés, parce que les groupes armés luttent contre les libertés.
Par Laurent Correau RFI mardi 21 mai 2019