CENTRAFRIQUE : LA PAIX EN OTAGE
Bangui, 7 août 2018 (CNC)
LE PAYS DES BANTOUS : UN ÉCHIQUIER POUR LES PUISSANCES ETRANGERES ?
Il ne faut pas se voiler les yeux et détourner la tête ; la République Centrafricaine est bel et bien devenue une proie pour les griffes des puissances exogènes.
Le pouvoir légitime est phagocyté par des prédateurs expansionnistes et impérialistes étrangers. Les dirigeants du pays n’ont plus la capacité d’agir dans l’intérêt de leur pays et de sa population. Ils sont devenus les supplétifs dociles des puissances française, russe, américaine et chinoise. La politique du pays et les décisions concernant la sécurité, la protection de l’intégrité du territoire et de sa population, sont décidées de Paris, de Moscou et de Washington. La recherche de la paix et du dialogue est entre les mains des Russes.
La situation qui prévaut aujourd’hui en Centrafrique rappelle furieusement la conférence de Berlin en 1885, au cours de laquelle l’Europe s’est partagé l’Afrique, comme s’il s’agissait d’une vulgaire rapine de brigandage. L’esclavage, les exactions et les crimes des sociétés concessionnaires, la colonisation, qui a oublié de jeter les bases du développement du territoire, ont compromis l’avenir harmonieux du pays et favorisé les coups d’états successifs, les mauvaises gouvernances et les violences qui ont miné l’essor de la RCA. L’instabilité politique chronique du pays est corollaire du passé désastreux qu’il a connu, entre esclavage et colonisation. L’absence d’élites compétentes, patriotes et nationalistes, a fini de plonger la République Centrafricaine dans la longue et terrible nuit dont elle ne parvient pas à sortir.
« UN PAYS A GENOUX ET A VENDRE » ?
C’est le chercheur Thierry Vircoulon, spécialiste de la Centrafrique, qui le suggère avec justesse : « La Centrafrique est à genoux et à vendre. Les acheteurs sont les puissances émergentes, comme la Chine, et une puissance sur le retour, la Russie. » Les ex-puissances coloniales sont fatiguées mais toujours en embuscade.
La France reste très présente en Centrafrique, surtout militairement : elle dispose de 500 soldats instructeurs et des Mirage 2000-D sont basés à Ndjamena. Deux d’entre eux ont d’ailleurs récemment survolé les colonnes des ex-Sélékas qui menaçaient de fondre sur Bangui. Il fallait les intimider et, surtout, leur montrer que la France est toujours là.
Les États-Unis, la Chine et la Russie s’épient et poussent leurs pions. Les trois puissances courtisent surtout les rebelles qui occupent le nord et le nord-est du pays, riches en matières premières. Ce faisant, elles actent la reconnaissance de l’autorité des ex-Sélékas sur ces régions et, partant, le risque de leur partition.
Face à ces manigances, l’inaction et le silence des autorités centrafricaines sont les signes d’une impuissance inacceptable. Elles semblent avoir cédé leur pouvoir aux puissances étrangères, qui jouent un double jeu pour préserver leurs intérêts.
Quant aux populations, devenues des Sans-Voix et des parias dans leur propre pays, elles sont les otages des puissances étrangères, aux appétits démesurés pour les matières premières et le territoire centrafricain, dont elles convoitent la position stratégique au centre du continent.
UNE PAIX IMPOSSIBLE ?
Comment un État désarmé peut-il faire la guerre à des bandes surarmées, que des mentors étrangers équipent et financent si généreusement ? Les autorités du pays n’ont pas les moyens de remplir leurs missions régaliennes. Les Forces Armées Centrafricaines sont toujours sous le coup de l’embargo injuste décrété par l’ONU. En Centrafrique, c’est une guerre à armes inégales qui se pratique à l’avantage des rebelles. Marie Noëlle Koyara, ministre de la Défense Nationale, ne vient-elle pas de déclarer : « il n’y a pas de restriction dans le redéploiement des FACA : c’est juste un manque de moyens » ? Les FACA souffrent, en effet, d’un manque terrible d’équipements militaire, d’armements et de moyens financiers.
L’arrivée des Russes a soulevé un immense espoir chez les Centrafricains, déçus par la France et les autres forces internationales. La perspective qu’ils trouvent des solutions à la crise aiguë qui secoue la Centrafrique, l’espoir qu’ils adoptent une attitude militaire ferme face aux séditieux, ont apporté un début de soulagement aux Centrafricains. Contrairement à la MINUSCA et aux forces internationales qui donnent l’impression de se livrer à un comportement ambigu face aux rebelles, les Russes devront jouer franc jeu, pour éviter de décevoir les attentes. Il ne faut pas qu’ils se mettent à négocier avec les groupes armés en aparté. Ils doivent, au contraire, leur signifier clairement que, s’ils ne déposent pas les armes et ne se rendent à la table des négociations, les Forces Soviétiques aideront les Forces Centrafricaines à les y contraindre.
S’ils n’agissent pas ainsi, le désarmement des groupes armés sera loin d’être acquis. Les ex-Sélékas continueront inexorablement à consolider leur position dans les provinces qu’ils occupent et à affirmer l’autonomie ou la partition des provinces qu’ils occupent. La paix deviendra alors un objectif trop difficile à atteindre.
Pourtant, les espoirs de paix et de réconciliation existent. Mais, pour parvenir à ce qu’elles soient rétablies, il faudrait un pouvoir fort et patriote. Le gouvernement centrafricain devrait être capable de reprendre les initiatives politiques et militaires, tout en ne cédant rien aux exigences indécentes d’impunité des chefs rebelles. Ces criminels de guerre osent parler de paix et réclamer une autonomie large pour les provinces qu’ils occupent. Ils exigent d’être impunis. Et, si on le leur refuse, ils imposeront une partition !
Cette situation serait totalement inacceptable pour les Centrafricains.
P.S. : nous apprenons l’annulation du voyage en Centrafrique de Florence Parly, ministre des Armées, pour cause de calendrier. On est en droit d’être dubitatif, vu la crispation des relations entre la France et la République Centrafricaine. La raison avancée nous semble appartenir à une sémantique diplomatique toute particulière. Affaire à suivre…
Article écrit par : JOSEPH AKOUISSONNE DE KITIKI
(6 août 2018)
Journaliste contributeur spécial du CNC.