CENTRAFRIQUE : DE L’ENREGISTREMENT AUDIO CLANDESTIN À L’ACCUSATION DE DÉSTABILISATION DU POUVOIR, PEUT-ON JUSTIFIER UN COMPLOT PAR DE BANDES SONORES ?
Bangui, le 10 juin 2017.
Par : Bernard Selemby Doudou.
Lors de l’interpellation du premier ministre et de son gouvernement à la tribune de l’assemblée nationale, le chef de file de l’opposition a choisi un moment fort pour faire une fracassante révélation d’espionnage relative à un pseudo enregistrement audio en vue d’un complot pour déstabiliser le pouvoir actuel. Cette annonce qui n’était qu’un fait divers eu égard aux thèmes inscrits à l’ordre du jour inquiète et divise la classe politique centrafricaine.
Dans les faits non contradictoires, le President de l’URCA aurait rencontré à sa demande et à son domicile un ancien officier de l’armée centrafricaine pour discuter d’un projet de coup d’Etat contre le régime. L’entretien intégral entre les deux protagonistes a été enregistré soigneusement et clandestinement par le fantassin. Il faut noter que la question de l’authenticité de l’enregistrement ne se pas car ce dernier déclare être victime d’un enregistrement.
Pour éclairer nos lecteurs, un coup d’Etat par définition est une prise de pouvoir dans un État par une minorité avec des moyens non conventionnels c’est à dire par la force. Dans cette rupture de processus conventionnel par la force, les auteurs sont généralement soutenus par une partie de l’armée, de la classe politique ainsi que de la société civile. Certains coups d’Etat sont applaudis quand ils visent la réhabilitation de l’autorité de l’Etat, pour écarter une dictature sans partage ou pour une nécessité de paix sociale, condition sine qua none du développement économique et social. D’autres coups d’Etat sont systématiquement condamnés. Les coups de force comportent traditionnellement quatre étapes basiques : d’abord il faut entretenir le secret de préparation qui est l’une des conditions de réussite sans lequel le projet va s’effondre, puis vint la neutralisation des organes vitaux de l’Etat, des lieux symboliques du pouvoir sans oublié la neutralisation des moyens de communication pour éviter des messages de propagande et de riposte, ensuite on procède à l’arrestation ou l’exécution des autorités détentrices du pouvoir pour décourager les forces qui lui sont fidèles, enfin on cherche à légitimer le coup de force par des justifications même tordues en passant par le vote d’une nouvelle constitution pour combler le vide institutionnel. Ceci dit, la présidence de la République par la voix de son porte parole se désolidarise de l’action de cet officier et n’entend pas porter plainte contre le leader de l’opposition alors que logiquement la charge de la preuve appartient à la partie qui accuse.
Ainsi des questions sans réponses taraudent dans la tête du citoyen lambda qui par curiosité coutumière ne cesse de s’interroger : Pourquoi la présidence de la République a renoncé à porterai plainte ? Pourquoi les conspirateurs ou comploteurs ne sont-ils pas aux arrêts ? Sous d’autres cieux, leur liberté serait restreinte avec retrait de passeport et interdiction de quitter le territoire national. De tous les officiers de l’armée centrafricaine en activité, celui qui a été invité par le leader de l’opposition est-il un spécialiste de coup d’Etat ? En a t-il combien de réussi à son actif ? S’agit-il d’une manoeuvre délibérée du pouvoir pour ébranler le chef de l’opposition ? Ce traquenard est-il la nouvelle approche du pouvoir pour museler les opposants ? Dans l’affirmative, le pouvoir est encore loin d’épeler le concept de démocratie avant de commencer à le définir. Comment expliquer que quelqu’un qui a accepté les résultats des urnes malgré lui pour épargner son pays d’une crise aiguë puisse se retrouver victime d’une horrible accusation de ce genre une année après ? La définition étymologique du complot suppose la présence d’au moins deux conspirateurs. Compte tenu du fait que l’un des conspirateurs appartient à la partie présidentielle et n’est inquiété depuis la révélation au point même d’effectuer un voyage en France, ce complot n’est-il pas vidé de son contenu ? Naturellement, l’ombre de coup d’Etat plane partout sur le pays. À ce rythme et jusqu’à la fin du mandat, le pays capitalisera combien de coup d’Etat ? Partant du principe que la preuve est libre, l’enregistrement audio “clandestin”est-il constitutif de preuve devant la justice ? En d’autres termes, l’enregistrement effectué à l’insu d’une personne ou sans son accord est-il recevable en justice ? Dans ce dernier cas, la chambre criminelle de la Cour de cassation du 06 avril 1993 confirmée par la chambre criminelle du 27 janvier 2010 ont posé le principe au pénal “qu’aucune disposition légale ne permet au juge pénal d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au motif qu’ils auraient été obtenues de façon illégale ou déloyale”. Ces arrêts sont donc dangereux pour les libertés fondamentales car ils valident l’obtention d’une preuve déloyale. Tandis qu’en matière civile, un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 07 octobre 2004 a déclaré qu’une telle preuve est irrecevable car déloyale. Cette jurisprudence est protectrice de la vie privée d’autrui. À ce propos, la loi n°91-6646 du 10 juillet 1991 dispose en son article premier “le secret des correspondances émises par la voix des télécommunications est garanti par la loi. Il ne peut être porté atteinte à ce secret que par l’autorité publique, dans les seuls cas de nécessité d’intérêt publique prévu par la loi et dans les limites fixées par celles-ci. La violation de ce secret constitue une incrimination pénale sanctionnée par l’article 226-1 du code pénal qui punit d’un emprisonnement d’un an et de 300000 francs d’amendes, le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en captant, enregistrant ou transmettant sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentielle”. Ainsi si l’enregistrement audio clandestin est l’initiative de son seul auteur, ce dernier s’exposera à des poursuites judiciaires pour atteinte à la vie privée d’autrui. Il faut noter que des conseillers à la présidence de la République appartiennent pour la plupart au passé. En manque d’imagination, ils nous ramène les pratique du passé où le complot et la tentative de coup de force sont les accusations par excellence pour mettre les opposants au régime hors d’état de nuire. Un énième coup de force classera notre pays parmi les plus instables et découragera les investisseurs. Il est important d’instituer une loi régissant le statut et le traitement des partis politiques pour faciliter l’équilibre politique et le jeu démocratique. Pour se faire, nous invitons le pouvoir d’éviter de considérer les partis d’oppositions comme des ennemis près à endosser leurs échecs. Pour finir et compte tenu de la pollution de l’environnement politique, nous invitons le parquet général à se saisir du dossier pour restituer la vérité. Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Paris le 10 juin 2017