Ma première rencontre avec Bangui a été un choc. Certes, comme tous ceux qui s’intéressent à la crise qui déchire la République Centrafricaine, j’avais lu des articles sur le camp de déplacés qui s’est créé sur les bords de la piste de l’aéroport. Mais rien ne peut préparer au survol des tentes au petit matin, à l’atterrissage. L’avion passe si bas qu’on peut voir les gens assis devant leurs tentes.
Au cours des années, comme reporter, j’ai sillonné l’Afrique de fond en comble. Je suis allée dans des pays en guerre. J’ai vu plus que ma part d’enfants malnutris et de réfugiés désespérés. Mais cette fois, je suis ici pour rester, plusieurs mois. Et cela fait une grande différence.
A la sortie de l’aéroport, il y a un panneau qui dit “Bienvenue à Bangui la Coquette”. Un vieux panneau, dont la peinture s’écaille. Juste en dessous, un poste de contrôle tenu par les soldats français de l’opération Sangaris.
De toute évidence, la coquetterie de Bangui a vu des jours meilleurs. Avec un taux d’humidité qui avoisine les 100%, la plupart des bâtiments semblent décatis, leurs toits sont rouillés, et leurs murs maculés de trainées de boue rouge –la couleur de la terre d’Afrique Centrale. Mais Bangui est aussi une ville extraordinairement vivante, avec dans les rues des enfants en uniforme se pressant vers le peu d’écoles qui ont pu rouvrir, et des passants prenant d’assaut des minibus délabrés.
Le second choc de ces premiers jours en Centrafrique aura sans nul doute été cette distribution de vivres, ma toute première, dans l’enclave musulmane du PK5. Une enclave où quelques milliers de personnes sont prises au piège, certaines depuis le mois de Décembre, lorsque les « événements », comme on les appelle pudiquement ici, ont éclaté.
Pour aller au PK5, il est plus prudent de monter à bord d’une voiture blindée. Dès que l’on quitte le centre-ville, la circulation se raréfie. Moins de voitures, presque plus de taxis. Le long du boulevard, certaines maisons sont intactes, d’autres ont été réduite à des tas de briques que des gamins nettoient pour les revendre. C’était les maisons des musulmans. Elles n’existent plus.
Cette route, certains des habitants de Bangui l’appellent « le boulevard de la mort ». Une fois passé le rond-point du PK5 (ainsi nommé d’après la borne qui indique la distance depuis le centre-ville) on change d’univers. Les familles musulmanes qui n’ont pas pu ou pas voulu partir sont bloquées ici. Désormais, l’espérance de vie de ceux qui tenteraient de sortir risque fort de ne pas dépasser quelques centaines de mètres.
La frontière invisible qui entoure l’enclave est surveillée par endroits par des soldats –les Français de Sangaris et les militaires africains de la MISCA. Bien sûr, comme dans le reste de la ville, il y a des armes qui circulent ici. Même si le niveau de violence a quelque peu baissé ces derniers temps, il y a encore des attaques lancées en direction des quartiers voisins.
Devant moi, la vaste majorité des déplacés qui attendent la distribution sont des femmes, des personnes âgées et de petits enfants. Je les regarde, et soudain la chose m’apparait comme une évidence. Ces enfants-là sont la raison pour laquelle il se passera un certain temps avant que je puisse à nouveau m’asseoir à la terrasse d’un café parisien.
Et franchement, je ne voudrais échanger ma place avec personne. J’ai tellement de chance d’être ici.
Par: http://fr.wfp.org