En Centrafrique, le mythe de l’homme providentiel perdure : analyse de la nouvelle Constitution de 2023
Par la rédaction de Corbeaunews-Centrafrique.
Le mythe de l’homme providentiel a encore frappé en République centrafricaine. En se dotant d’une nouvelle Constitution de 2023 qui lui ouvre la voie d’une présidence à vie, Faustin Archange Touadera perpétue une tradition bien ancrée dans ce pays d’Afrique centrale : celle du dirigeant irremplaçable. Une analyse que partage Danièle Darlan, ancienne présidente de la Cour constitutionnelle, limogée en 2022 pour avoir tenté de s’opposer à cette dérive personnaliste.
“Depuis l’indépendance, chaque président s’est considéré comme l’homme de la situation, le seul capable de sauver le pays”, explique cette éminente juriste dans son ouvrage de référence sur l’histoire constitutionnelle centrafricaine. De David Dacko à Touadera, en passant par Bokassa, tous ont modifié la Constitution pour renforcer leur pouvoir personnel.
Promulguée le 30 août 2023, la nouvelle Constitution de 2023 est un cas d’école de cette personnalisation du pouvoir. Non content de supprimer la limitation des mandats présidentiels, le texte accorde à Touadera, alias Baba Kongoboro, des prérogatives dignes d’un monarque :
nomination d’un vice-président, contrôle du Conseil constitutionnel, suppression de la surveillance parlementaire sur les contrats miniers.
“C’est le syndrome Bokassa qui continue”, analyse un leader de la société civile centrafricaine. “Chaque président finit par se croire indispensable, au point de modifier la Constitution pour rester au pouvoir”. Une comparaison que le pouvoir rejette, tout en reproduisant les mêmes schémas.
Plus inquiétant encore, la nouvelle Constitution de 2023 de Touadera introduit une disposition sans précédent : seuls les Centrafricains “d’origine” peuvent désormais accéder aux plus hautes fonctions. “Une discrimination constitutionnalisée qui rappelle les heures les plus sombres de notre histoire”, confie sous couvert d’anonymat un ancien membre du Conseil constitutionnel.
À 76 kilomètres de Bangui, le palais de Bérengo, ancienne résidence impériale de Bokassa, témoigne encore de cette propension des dirigeants centrafricains à se croire investis d’une mission divine. “La seule différence aujourd’hui”, note un observateur politique, “c’est qu’on utilise les apparences de la démocratie pour légitimer le pouvoir personnel”.
Le référendum constitutionnel, avec son score soviétique de 95% de “oui”, illustre parfaitement cette dérive. Dans un pays où une partie du territoire échappe encore au contrôle de l’État, un tel résultat interroge. “C’est exactement comme sous l’empire, quand les votes étaient unanimes”, rappelle un ancien magistrat.
“Le plus grave”, souligne Danièle Darlan, “n’est pas tant l’instabilité politique que l’impact sur les mentalités”. En personnalisant à l’extrême le pouvoir, la nouvelle Constitution renforce l’idée qu’un homme seul peut incarner le salut de la nation. Une conception qui a déjà conduit le pays à de multiples catastrophes.
Dans ce pays classé parmi les plus pauvres au monde malgré ses richesses naturelles, la personnalisation du pouvoir a toujours rimé avec prédation des ressources. La suppression du contrôle parlementaire sur les contrats miniers dans la nouvelle Constitution de 2023 en est l’illustration parfaite.
Soixante-trois ans après son indépendance, la République centrafricaine semble incapable de s’extraire du mythe de l’homme providentiel. De Dacko qui instaura le parti unique, à Bokassa qui se fit empereur, jusqu’à Touadera qui s’octroie une présidence illimitée, l’histoire se répète inlassablement.
La nouvelle Constitution de 2023 ne fait que confirmer cette tendance lourde de la politique centrafricaine : la personnalisation extrême du pouvoir au détriment des institutions. Un choix d’autant plus inquiétant que le pays, encore marqué par la crise de 2013-2016, aurait besoin plus que jamais d’institutions fortes plutôt que d’un homme providentiel.
“L’histoire nous a pourtant appris que le mythe de l’homme providentiel conduit toujours aux mêmes catastrophes”, conclut Danièle Darlan. Un avertissement qui risque de rester lettre morte dans un pays où la Constitution semble condamnée à être l’instrument des ambitions personnelles plutôt que le garant des libertés collectives.
Alain Nzilo
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