Bangui, République centrafricaine, samedi, 23 octobre 2021, 02:17:05 ( Corbeaunews-Centrafrique ). En plaçant le chef rebelle tchadien actif en Centrafrique Baba Laddé à la tête de ses services de renseignement, N’Djamena veut garder un œil sur chacun de ses voisins. Cette arrivée s’inscrit par ailleurs dans un contexte de tensions au sein de l’Agence nationale de sécurité (ANS), dirigée par Ahmed Kogri.
La nomination le 14 octobre de Baba Laddé – de son vrai nom Mahamat Abdoul Kadre Oumar – comme directeur du renseignement tchadien alimente toutes les spéculations chez les voisins du pays. Et pour cause : le président du Conseil militaire de transition (CMT) Mahamat Idriss Déby dit “Kaka”, compte largement s’appuyer sur lui pour reprendre la main sur les enjeux frontaliers, notamment avec le Soudan et la République centrafricaine (RCA).
Deux pays que connaît particulièrement l’ancien gendarme entré en rébellion en 1998 à partir du Darfour. Dans un contexte où les conflits armés liés à la transhumance apparaissaient, Baba Laddé avait alors été très actif entre le Soudan, le Tchad et surtout la Centrafrique, où il a créé en 2008 une milice, le Front pour le redressement populaire (FPR).
Entregent au Nigeria
Il y sera neutralisé deux fois, en 2012 et 2014, avant d’être mis aux arrêts à N’Djamena à partir de 2015. Depuis sa libération en 2020, Baba Laddé s’activait pour rentrer dans le jeu politique, s’appuyant notamment sur ses entrées auprès du président nigérian Muhammadu Buhari.
Comme ce dernier, Baba Laddé est issu de la communauté peulh. Il a longtemps bénéficié du parapluie du chef de l’État nigérian, très actif ces derniers mois dans la transition tchadienne (AI du 03/09/21). L’entregent de Baba Laddé à Abuja pourrait ainsi se révéler un atout de choix dans la lutte contre Boko Haram dans le bassin du Lac Tchad.
Baba Laddé s’était réconcilié avec Idriss Déby lors de la campagne présentielle de 2021, quelques jours seulement avant la mort du chef de l’État tchadien.
Un réseau étroit en Centrafrique
Outre le Nigeria, l’ancien chef du FPR est très bien introduit dans les réseaux peulhs de la sous-région, particulièrement actifs en Centrafrique, via deux groupes armés. L’un d’entre eux, le puissant groupe de l’Union pour la paix en Centrafrique (UPC), est dirigé par l’ancien lieutenant de Baba Laddé, Ali Darassa, vu à Bangui comme l’ennemi public numéro 1. L’UPC a participé aux mouvements de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) de François Bozizé, ancien adversaire de Baba Laddé, qui est depuis quelques jours à nouveau aux prises avec l’armée centrafricaine et ses alliés russes dans le centre du pays. La nomination de Baba Laddé a ainsi suscité une pluie de commentaires à Bangui, alors que les relations entre la RCA et le Tchad sont particulièrement tendues depuis le mois d’avril.
Un autre groupe peulh, Retour, Réclamation et Réhabilitation (3R), est également actif au nord-ouest de la Centrafrique, et notamment à la frontière tchadienne. Ce dernier avait fait l’objet d’une crise diplomatique aiguë entre Bangui et N’Djamena en mai dernier.
Frictions au sein du renseignement
La nomination de Baba Laddé intervient alors que les tensions se multiplient au sein de l’Agence nationale de sécurité (ANS), dirigée par Ahmed Kogri. Depuis le printemps, l’ANS est parasitée par une théorie que rien n’étaye, mais à laquelle souscrivent plusieurs officiers du CMT, persuadés d’être progressivement encerclés par des leaders identifiés comme “arabes”, tels Mohamed Bazoum au Niger, Khalifa Haftar en Libye et le vice-président soudanais Mohamed Hamdan Dagalo, dit “Hemeti”.
Cette perspective “d’encerclement” alimente une vive méfiance, qui s’est récemment étendue à plusieurs personnalités tchadiennes “arabes” de premier plan, à l’instar de Kogri.
Africa Intelligence 21/10/2021