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22 Janvier 1998 – 22 Janvier 2023, un quart de siècle qu’il nous a quittés : Alphonse Blagué était une voix précurseure de la démocratie en Centrafrique..

 

Ce 22 Janvier 2023, nous célébrons le 25e anniversaire de la disparition du Professeur Alphonse Blagué. Il fut enseignant, Ministre et fervent défenseur de la démocratie en Centrafrique. Allons à la découverte de cet homme qui marqua l'histoire de la lutte sous le régime de l'empereur Jean Bedel Bokassa 1er.
Professeur Alphonse Blagué
Professeur Alphonse Blagué

Rédigé par Ben Wilson NGASSAN
Publié par Corbeaunews Centrafrique (CNC), le 22 janvier 2023
Alphonse Blagué était une voix précurseure de la démocratie en Centrafrique
Né le 19 Août 1948, soit quelques années avant l'indépendance de la République Centrafricaine, M. Alphonse Blagué est un natif du Tchad voisin. Il fréquenta notamment le Petit séminaire de Sibut, le Lycée d'État des Rapides, avant de se rendre en France, à Caen, où il poursuivra ses études en Sociologie et milita en même temps au sein de la Fédération des Étudiants Noirs en France (FEANF).
Il faut dire que son cursus primaire, passé chez les prêtres, au petit séminaire de Sibut, a contribué grandement à l'érudition dont a fait montre le Professeur Alphonse Blagué durant son parcours aussi bien en tant qu'enseignant que politique.
Arrivé en France, pour les études, le défunt Alphonse Blagué fit la connaissance de brillants jeunes intellectuels africains comme Alpha Condé, Laurent Gbagbo, Ibrahim Boubacar Keita ou encore Abdoulaye Wade, avec qui ils partageaient de très nombreuses valeurs morales et intellectuelles, mais se sont surtout battus pour la défense de l'étudiant Noir en France. 

Après ses brillantes études de 1967 à 1973, Alphonse Blagué décida de rentrer au pays. Il viendra alors affronter la dictature imposée par Jean Bedel Bokassa, qui s'était fait, entretemps, Empereur, et régnait sans partage sur le pays.
Admis comme Enseignant du supérieur à l'Université de Bangui, M. Alphonse Blagué formait un collectif avec d'autres brillants jeunes intellectuels centrafricains à savoir le défunt Gaston Makounzanbga ou encore l'historien Nzabakomada Yakoma. Ils organisaient plusieurs conférences au Centre Protestant pour la Jeunesse (CPJ), Centre Jean XXIII ainsi qu'au Centre Culturel Français. Ces conférences réunissaient plusieurs centaines de jeunes de la capitale et, il y a un moment, dans une tribune qu'il a consacrée à la mémoire du Prof Alphonse Blagué, le Professeur Alain Lamessi avait rendu le témoignage suivant : "son éloquence, son sens de l'humour inoculaient à grandes doses le virus de la dignité qui passe par la contestation". 

Oui, l'éloquence du Professeur Alphonse Blagué était connue de tous ses étudiants et surtout des personnes qui avaient l'occasion de participer à ses multiples conférences qui n'avaient que pour but d'éveiller la conscience citoyenne des jeunes face au règne despotique de l'empereur Jean Bedel Bokassa.
Il faut dire que l'éloquence, la pertinence, la cohérence et la constance du Professeur Alphonse Blagué lui valaient surtout l'agacement du système impérial au point qu'il fut décidé son arrestation et aussi celle de deux de ses proches. C'est le journal français "LeMonde" qui rend le témoignage à travers un article publié le 16 Octobre 1977 sous le titre "arrestation à Bangui des étudiants qui avaient offensé l'empereur".

En effet, après leur arrestation, Alphonse Blagué, Doungouma Foky et Romain Sopio, trois brillants jeunes intellectuels opposés au régime impérial seront condamnés à dix ans de prison, par le Tribunal de Bangui pour "atteinte à la sécurité intérieure de l'État et offense à l'empereur Bokassa". Des jours passèrent après cette arrestation et cette condamnation ignoble, la situation des trois jeunes incarcérés devenait de plus en plus préoccupante au point que la diplomatie française entre en jeu pour avoir la libération des trois jeunes. Un assistant parlementaire français qui avait enquêté sur l'arrestation du Professeur Alphonse Blagué et de ses deux autres compagnons de lutte rendait ce témoignage dans un article du journal "LeMonde": "étudiant à Caen de 1967 à 1973, puis rentré en Centrafrique, Alphonse Blagué avait refusé de servir le régime réactionnaire en place et s'était contenté d'exercer honnêtement ses fonctions d'enseignant. On lui reproche notamment l'appelation "République centrafricaine". Oui, même sous le régime violent de Bokassa, Alphonse Blagué que nous célébrons n'avait pas peur de déclarer officiellement la Centrafrique comme une République, défiant ainsi la terreur qu'inspirait le régime tyrannique en place. C'est bien à cause de ses valeurs que l'on peut affirmer aisément que M. Alphonse Blagué fut une des voix précurseure de la démocratie en Centrafrique.
Pour ceux qui ont connu ce moment de l'histoire de la République centrafricaine, ils témoignent que le Professeur Alphonse Blagué était un "fou de la liberté".
Au renversement de Bokassa suivi de l'installation de Dacko II, le Professeur Alphonse Blagué a eu à occuper de très grands postes aussi bien au sein du gouvernement que dans les grandes institutions internationales. Il fut notamment Ministre sous Dacko, ambassadeur de la République centrafricaine auprès de l'UNESCO en France, Directeur de l'Institut Culturel Africain (ICA) au Sénégal, Médiateur de la République et aussi Recteur de l'Université de Bangui.
Durant son parcours politique, le Professeur Alphonse Blagué n'a pas uniquement accompagné les actions du gouvernement, il a plusieurs fois été à la tête des mouvements de contestation des régimes despotiques en Centrafrique, plus particulièrement, le régime de feu Ange Félix Patassé. 

À travers ses brillantes analyses et ses critiques pointilleuses, Alphonse Blagué dénonça le tribalisme, le régionalisme qui ont émaillé la gouvernance de Patassé. Lors de la crise économique qui avait frappé le régime Patassé, faisant référence à une interview populaire du Président Patassé affirmant que la République centrafricaine était un pays riche alors que le Peuple vivait une misère extrême, Alphonse Blagué déclara dans l'émission du 7e jour animée à l'époque par Rafael Kopessoua : "C'est vrai que la RCA est un pays riche. Ici, coulent le lait et miel, mais ce lait et ciel ne coulent malheureusement que dans certains gosiers". Ce contrepied frontal avait le mérite de susciter une vive colère de Patassé et de ses proches, qui décidèrent de "compliquer la vie" au Professeur de Sociologie, le contraignant à finir sa vie, de sitôt, dans le dénuement. Quelle horreur ! Quel cynisme pour ce grand intellectuel qui a marqué l'histoire de la démocratie dans ce pays ! Cela confirme d'ailleurs une célèbre citation du Professeur Alphonse Blagué, qui se voulait déjà prémonitoire : "le cannibalisme de l'État centrafricain : la RCA est un pays qui aime bien dévorer ses propres enfants". 

En outre, le Professeur Alphonse Blagué n'a pas qu'été un homme politique, l'homme a confié toute sa carrière à transmettre le savoir à l'Université de Bangui. Professeur de Sociologie, spécialisé en Sociologie politique et sociologie des organisations, il a contribué à la formation des grands noms de la politique centrafricaine. Nous citons entre autres : Martin Ziguele, Nicolas Tiangaye, Crépin Mboli-goumba... Le Professeur Alphonse Blagué a laissé après lui 6 enfants dont un n'est plus de ce monde. Parmi toute sa progéniture, son fils aîné Karl Blagué est le seul à pouvoir se lancer dans l'engagement politique. Sociologue comme son père et surtout militant de la démocratie, il a fondé avec d'autres grands noms, le Groupe d'Action des Organisations de la Société Civile pour la Défense de la Constitution du 30 Mars 2016. Les sorties très remarquées et la constance de l'engagement politique de Karl sont autant de valeurs qu'il a en partage avec son défunt père.  En Centrafrique, un amphithéâtre est baptisé au nom du Professeur Alphonse Blagué, à l'Université de Bangui. Un autre portrait de ce grand démocrate se trouve à l'espace Linga Tere de l'artiste Vincent Mambachaka. Nos recherches sur cet grand homme laisse croire qu'il n'existe quasiment pas d'initiatives pour pérenniser sa mémoire et son combat pour la sauvegarde de la démocratie et de la dignité du Centrafricain. Son fils Karl entend faire le recueil de tous les écrits du Professeur, jaunis par le temps, dont "Nation et conscience nationale", un véritable pamphlet, qui appelle à une vraie prise de conscience citoyenne.  Pour préserver la mémoire en Centrafrique et rendre un hommage mérité à cet héros de la démocratie, il va falloir que les centres de recherche soutiennent son fils dans la publication de ses écrits et aussi dans la réalisation des films documentaires sur le parcours fascinant de ce grand homme. Nous appelons à l'aide le Centre Culturel Samba-Panza, l'Alliance Française, l'espace Linga Tere, le département d'histoire et de la sociologie de l'Université de Bangui, le Centre Centrafricain de Recherche et d'analyse géopolitique (CCRAG), le Cabinet Peace and Development Watch en vue d'un partenariat autour de la mémoire du Professeur Alphonse Blagué. Bon et fidèle serviteur, que ton âme se repose à jamais en paix !

 

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