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SENEGAL/TABASKI : Les mauvais présages de l’édition de cette année (2014)

 « Le Témoin N° 1177 »  // Corbeau News centrafrique

 

Tabaski 2014, le mauvis presage

Il ne sera pas nécessaire d’attendre les prédictions des oracles pour savoir que le mouton sera, cette année, exceptionnellement rare et, donc, cher. L’année dernière, de nombreuses familles se sont passées du rituel indiqué pour sacrifier ce ruminant invisible la veille de la fête. Les brebis et les chèvres ont servi de substitution, à des prix impensables entre 80 000 pour les cabris et 150 000 FCFA pour la femelle du mouton.

Certains nous prendraient pour des oiseaux de mauvais augure, arguant que nos prédictions tendraient bien au contraire à encourager les spéculateurs et autres « téfankés » (éleveurs) du dimanche, à donner dans la surenchère. Le sombre dessein de ces derniers : mieux écouler les moutons de case à des prix de cinq voire six chiffres défiant tout bon sens. Soit ! Mais, la spéculation a été toujours une constante essentielle dans la tabaski, période critique pendant laquelle la loi du marché fonctionne à plein régime. Au détriment des plus démunis pris en tenaille entre les pressions sociales et la réalité de la trésorerie en tension suprême. L’offre étant, selon les années, nettement plus élevée que la demande. L’inverse pouvant aussi se vérifier selon des paramètres économiques, techniques et sociaux variables d’une édition à l’autre. L’année dernière fait justement partie de ces années-références, qui ont marqué l’esprit des fidèles par la rareté et la cherté des moutons. Des pénuries graves ont été durement vécues à Dakar, Thiès, Saint-Louis et Ziguinchor notamment. Et ce en dépit des promesses fermes faites par le ministre de l’Elevage, la vaillante Aminata Mbenque Ndiaye. Pour cette année, en tout cas, elle s’est entourée d’un maximum de précautions oratoires. Et même après sa visite au Mali et dans les zones d’élevage et de concentration du bétail comme Kaffrine, la zone sylvo-pastorale, les régions du nord, du centre et du sud-est, elle se garde de prononcer un taquet. La pénurie est possible et même probable, dit-elle sans complexe, à quelques quantièmes de l’Aïd El Kebir. A bon entendeur, salut !

        On peut bien la croire, elle qui maîtrise si bien son sujet. Les ingrédients de la pénurie sont là, inexorablement installés. Ils ont un nom et un visage. L’hivernage tardif, peu généreux en pâturages, a démultiplié les coûts d’alimentation du bétail, l’herbe étant introuvable. Et la zone du Ndoucoumane, habituel point de chute des transhumances, a accueilli peu de ruminants, cette année, comme l’an passé aussi. De plus, le psychodrame international créé par l’irruption brutale de la terrifiante fièvre Ebola limitera forcément les transhumances animales, et certainement les transactions humaines, sociales et commerciales. Sur environ un million de bêtes sacrifiées chaque année au Sénégal, près de la moitié nous viennent du Mali (350 000) et de la Mauritanie (un peu moins de 200 000), de la Gambie et très accessoirement de la Guinée.

Autre facteur bloquant, l’insécurité grandissante et l’odieux racket organisé par certains « corps habillés» plus enclins à tirer profit de cette aubaine que d’assurer la sécurité des éleveurs et des clients. La grande psychose des fournisseurs maliens se trouve précisément dans cette insécurité grandissante aux alentours des foirails et autres points de vente. Trop d’agressions, trop de vols et d’astuces très habiles pour créer des confusions et permettre aux cartels de malfaiteurs de s’incruster pour accomplir leur forfait. Et pourtant, sur les dizaines de points de vente, beaucoup sont équipés d’infrastructures d’eau, d’éclairage, de toilettes, de dispositifs de sécurité, gérés par les comités de veille en rapport avec les policiers et les gendarmes. Qui plus est, les autorités sénégalaises ont consenti d’importants sacrifices pour alléger voire supprimer momentanément les charges fiscales et autres patentes frappant le bétail. Ces efforts d’exonération et de soulagement ont été faits dans le domaine du transport des moutons et leur mobilité dans l’ensemble du pays. Malgré toutes ces mesures, les éleveurs maliens marquent le pas et semblent peu encouragés à traverser la frontière.

        Certains consentent dans le meilleur des cas à injecter à doses homéopathiques des lots de moutons qu’ils entendent d’abord écouler avant de lâcher d’autres hordes à la conquête du juteux marché sénégalais. Du côté de la Mauritanie, les flux se sont ces dernières années réduits comme une peau de chagrin. Nos voisins du nord préfèrent consommer leur production, plutôt que de subir les tracasseries de toutes sortes. Depuis 1989, date de la crise sénégalo-mauritanienne, les transactions commerciales entre les deux sont en nette décroissance. Nouakchott a choisi de regarder plus vers son nord que son sud. Le Maroc aussi s’approvisionne de plus en plus en Mauritanie et accessoirement au Mali. Il devient un client plus sécurisé et il est vrai culturellement, politiquement et économiquement plus fertile, que le Sénégal. C’est du moins ce que pensent les éleveurs maures, pour qui le Sénégal n’est la plus grande destination qu’il a été jusqu’à la crise. Ce changement de système d’approvisionnement n’est pas sans conséquence sur la pénurie prévisible et, probablement, sur le prix du mouton. Dans la sous-région, le Sénégal est le marché le plus porteur, car les prix d’acquisition sont sans commune mesure avec ceux pratiqués chez nos voisins. Certes, notre cheptel est moins important parce que les zones d’élevage et pâturage sont plus réduites. La pratique intensive et l’auto-consommation restent encore largement répandues au Sénégal.

       Ce alors que, chez nos voisins, les ressources animalières commencent à être gérées comme une véritable filière industrielle et commerciale. En revanche, notre politique publique à ce niveau demeure encore trop velléitaire, pour provoquer ce changement de paradigme que les Sénégalais attendent. Le gouvernement a fait un pas intéressant en relançant le ranch de Dolly, jadis fleuron sous-régional de l’élevage. Mais la trop forte consommation d’ovins durant les nombreuses occasions de cérémonies religieuses, païennes, sociales et autres occasions festives limite considérablement nos capacités de production de caprinés.

        Chiffres illustratifs de cette énorme décimation : selon les statistiques officielles, on estime à 540 000 le nombre de naissances annuelles au Sénégal, avec un croit démographique de l’ordre 2,1 % et un pic à Dakar et Touba de 3 % environ. Il est facile de constater qu’en prenant pour référence les 95 % de musulmans que compte notre pays, on comprend dès lors l’amplitude des consommations en espèces ovines. Les citoyens de confession chrétienne consomment aussi beaucoup de moutons dans leurs fêtes. A quoi il faut ajouter les occasions festives, soirées mondaines, la célébration du Magal de Touba, du Maouloud, les rites sacrificiels et la consommation domestique habituelle.

        Dans ces conditions, la reconstitution du cheptel se fait très difficilement. Et le déficit chronique s’en suit, autant qu’une inflation galopante, qui amène le prix du kilogramme de mouton régulièrement entre 2500 et 3000, en période hors Tabaskl. Et du coup, les répercussions sont prévisibles dans l’acquisition du mouton de l’Aïd, pour honorer le sacrifice d’Abraham. Se conformer à ce rite fortement recommandé devient dès lors un vrai casse-tête, une psychose handicapante pour de nombreux chefs de famille. L’urbanisation rapide de notre pays (45 % des 13,8 millions de Sénégalais vivent en ville), contribue à disséminer et cristalliser des pratiques et des réflexes peu vertueux, comme l’envie, la jalousie, le mimétisme, les complexes d’infériorité et de supériorité, le m’as-t-vu, le combientième. En somme toutes les vices et tares que la société de consommation productrice de cette culture urbaine, insatiable, boulimique, extravertie et dispendieuse est capable de produire et d’instiller dans nos mœurs. La tabaski est ce marronnier sempiternel qui enlace les pauvres parents dans une véritable psychose. Et, parfois, dans des psychodrames conduisant à des séparations de couples, des déchirements dans les ménages, des frustrations chez les enfants. En plus du mouton, il faut habiller tout le monde du cap aux pieds, assurer l’accompagnement de la cuisson. Et s’apprêter, pour ceux qui en ont la force et l’énergie et sans doute les moyens, pour les soirées mondaines qui, de manière virale, s’accrochent comme des sangsues à cette fête, pourtant éminemment religieuse. Le sens du sacrifice exclut a priori toute autre interprétation, ne serait qu’impuissance, et addiction à la fête. C’est toute notre société qui en souffre et toutes les complaintes qui ponctuent chaque année cette célébration prennent l’allure de commensal au lieu d’apporter les vraies solutions.

        A preuve sait-on qu’aux foirals de Dakar et des grandes villes, des brebis enceintes sont égorgées sans pitié et leur progéniture en gestation balancées dans la nature, avec une inclassable désinvolture ? Dans une émission diffusée par une radio de la place, un homme du sérail racontait le spectacle ahurissant de terrain jonché de « fœtus » et de cadavres d’agneaux qui, quelques jours, voire quelques heures plus tard, auraient vu la lumière crue du jour. Ces gigots, côtelettes, filets ou épaules qui ornent nos couverts et remplissent nos panses seraient moins onctueux si leur traçabilité était établie. Au vu de tout cela, on a presque envie de rejoindre le club de l’actrice française Brigitte Bardot et de s’abonner à la ligue des végétariens !

        Car non seulement ces exterminations sont insupportables, mais encore elles sont économiquement néfastes et improductives, et, au bout du compte, dévastatrices de notre écosystème. Hélas, du moins en apparence, ce drame ne semble gêner personne, la fin justifiant les moyens.

ALY SAMBA NDIAYE

Le temoin senegal

Article paru dans « Le Témoin N° 1177 » –Hebdomadaire Sénégalais ( SEPTEMBRE 2014 )

 

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