Bien que la République ait été agressée, l’Institution de la gendarmerie s’en sort indemne !
En lisant et analysant l’ouvrage du colonel Abdoul Aziz Ndaw, il n’est pas interdit de croire que l’auteur s’essayait à pondre un « devoir de mémoire » consistant à livrer le souvenir de son passé glorieux, et surtout les coups bas, les règlements de comptes, les complots et les souffrances qu’il avait subis ou dont il a été le témoin dans sa riche carrière d’officier de gendarmerie. A l’arrivée, le colonel Abdoul Aziz Ndaw a délibérément et courageusement construit un grand musée exposant et divulguant des secrets d’Etat et des vies privées. Si son brulot se voulait une arme de destruction massive qui démolirait la République, le but n’a pas été atteint, heureusement, car nos institutions continuent de fonctionner. A commencer par l’institution militaire dont la gendarmerie fait partie. Touchée, la maréchaussée n’a pas coulé pour autant. Fort heureusement pour elle ! Pourquoi ?
D’abord, il nous plait d’ouvrir le ban sur l’histoire du Sénégal indépendant qui se décompose en trois grandes parties dont les principaux repères historiques sont : l’euphorie des porteurs de pancartes c’est-à-dire 26 août 1958 lorsque le général De Gaulle avait « donné » l’indépendance à notre pays sous la pression des manifestations en faveur du « oui » de la place Protêt à Dakar. Ensuite, il y a eu l’éclatement de la fédération du Mali suivie du transfert et de la reconstruction des nouvelles institutions du Sénégal. Et, enfin, la fête du 4 avril 1960. Qui dit institutions solides, dit forces de sécurité et de défense. Et la gendarmerie nationale en est une, assurément ! Car, si notre pays a connu une série de crises politiques caractérisées par des batailles de positionnement et des contestations post-électorales sans pour autant plonger dans le chaos, c’est grâce à nos forces armées. Et particulièrement la gendarmerie. Notre gendarmerie nationale qui, pendant plus d’un demi-siècle, a toujours servi la présidence de la République en particulier, et les autres institutions en général, avec loyauté et fidélité. Sans compter les populations sénégalaises, bien sûr. Une gendarmerie modèle qui a réussi à tenir son rôle dans le cadre de la constitution que le peuple s’est librement donnée. D’abord, en contribuant à la défense de l’intégrité territoriale du fait qu’en temps de guerre, la gendarmerie combat aux cotés des armées. Ensuite, par sa présence vigilante et son action efficace pour la sécurité et la stabilité politique du pays. Comme au soir du 25 mars 2012 lorsque le haut commandant de la gendarmerie d’alors, le général Abdoulaye Fall, avait appelé le président Wade pour lui conseiller de féliciter son adversaire, M. Macky Sall, dès la tombée des toutes premières tendances lourdes en ces termes : « Mes respects, Monsieur le Président, bonsoir ! On vient de collecter les premiers résultats à travers le pays par le biais des compagnies et des brigades de gendarmerie. Monsieur le président, les premières tendances ne vous donnent aucune chance de remporter ces élections. Pour nous faciliter la tâche d’assurer la sécurité des personnes et des biens, je vous conseille d’appeler votre adversaire pour le féliciter… » avait eu à dire le général Abdoulaye Fall, celui-là même que le colonel Aziz Ndao traîne dans la boue aujourd’hui, en sa qualité de Haut commandant de la Gendarmerie et directeur de la Justice militaire au président Abdoulaye Wade. Une conversation téléphonique que « Le Témoin » avait révélée dans ses colonnes pour montrer que l’institution a été toujours à équidistance des tendances politiques et partisanes.
Face à la multiplicité de nombreuses crises politiques et financières ainsi que d’autres ouragans qui ont eu à balayer pas mal d’institutions, la Gendarmerie a pu rester debout et résister comme un dernier rempart aux cotés de l’Armée. Cette résistance contre vents et marées, l’institution la doit à ses hommes. En particulier à ces valeureux officiers et officiers généraux qui ont fait de la gendarmerie ce qu’elle est devenue aujourd’hui c’est-à-dire une institution équilibrée et respectée où se cultivent la compétence, la discipline, la loyauté et la responsabilité. C’est pourquoi, un obus « littéraire » comme le brulot du colonel Abdoul Aziz Ndaw, bien que dévastateur et destructeur, ne pouvait nullement secouer les solides fondements de cette institution qu’est la Gendarmerie. Meme si l’obus, il faut le reconnaître, a pu souffler les portes et fenêtres de l’institution. Cependant, l’édifice est resté intact et tient toujours sur ses bases.
Le « Wikileaks » de la Gendarmerie
Ce qu’il faut retenir, déplorer et condamner dans le livre du colonel Abdoul Aziz Ndaw, c’est l’immense divulgation des secrets de l’Etat. Une divulgation sans retenue. En dehors des faits que le colonel Abdoul Aziz Ndaw a eu à vivre personnellement, la plupart des informations et renseignements livrés au public ont été ramassés dans les différentes réunions de conseil de sécurité que présidait le président République d’alors, Me Abdoulaye Wade. Si ce n’étaient pas des instructions renfermant des informations qu’il recevait du haut commandement de la gendarmerie. Et personne n’était mieux placé que le colonel Aziz Ndaw, lui qui fut le haut commandant en second, pour être l’ampliataire, voire le destinataire, de ces rapports et autres bulletins de renseignement. Surtout qu’en cas d’absence du haut-com, le général Abdoulaye Fall, il le remplaçait dans tous les réunions et conseils de sécurité. Cela nous rappelle le sieur Julian Assange, rendu célèbre pour avoir divulgué plus de 700.000 documents et renseignements américains estampillés « confidentiels » et « secret défense » à travers le site « WikiLeaks ». Dans son livre, le colonel Aziz Ndaw a mis à nu la façon dont Touba domestiquait l’Etat comme un talibé au point de sacrifier tout officier de gendarmerie foulant au pied les états d’humeur de l’autorité religieuse. N’est-ce mon colonel ? « J’eus mon premier incident à Touba à cause d’un conflit interne entre deux grandes composantes de la grande communauté des mourides. Le Khalife, Serigne Abdou Lakhat avait interdit l’alcool et les cigarettes dans toute la ville de Touba et avait mis en place des unités de vigilance pour arrêter et bastonner les coupables. Un personnage important de la communauté, ivre mort, fut bastonné sans autre forme de procès par les hommes du « beukhe neekh » Mor SECK, homme de main du Khalife. La réaction de la communauté de cet homme ne se fit pas attendre. En effet, ses hommes attaquèrent le poste de Touba et une bataille rangée de grande envergure entre les deux communautés se déroula sous les yeux impuissants des populations. Alerté, je mis en branlebas de combat toutes les huit unités de la compagnie et fonçai sur Touba où, à coups de grenades lacrymogènes, j’eus le dessus sur les antagonistes. Je fis arrêter plus de 160 personnes à qui plusieurs infractions pouvaient être reprochées, notamment port d’armes et attroupement armé. Je rendis compte fidèlement à l’officier de permanence qui fit réveiller le Général. Il me posa des questions sur l’ampleur des évènements et les mesures prises. Il me félicita pour l’opération et me fixa rendez-vous pour les détails au lendemain matin. Tout fier du travail accompli, je faisais faire durant toute la nuit et avec les renforts, les procès-verbaux en vue de déférer les personnes arrêtées au parquet de Diourbel dans les délais impartis. Le commandant de brigade de Mbacké profita de notre engagement pour se rendre à Dakar rencontrer le Khalife, invité chez le milliardaire Ndiouga Kébé. Il lui rapporta à sa manière les faits, s’excluant de toute action, argua de l’absence du commandant de compagnie pour mettre toute la responsabilité de l’action sur ma modeste personne. A sept heures, tout avait basculé. J’eus droit aux engueulades du Général, au refus du parquet de voir déférer les mis en cause » a-t-il expliqué dans son brulot. Les méthodes d’investigations, les filatures, les traques aux renseignements, les infiltrations de personnages stratégiques, le ravitaillement des rebelles du Mdfc par la Caritas-Sénégal, l’affaire Oumar Lamine Badji etc… tout a été exposé sur la voie publique par le colonel Aziz Ndaw en sa qualité d’ancien officier de renseignements comme il l’a si bien expliqué dans les chapitres réservés à l’assassinat de Me Babacar Sèye, du Mdfc et autres affaires d’Etat !
Seulement, le colonel Aziz Ndaw a dû oublier que notre gendarmerie et notre police utilisent des méthodes d’un Etat de droit. Ce malgré quelques dérapages ayant entrainé parfois mort d’homme ou violant les droits humains. Allez vous aventurer dans les gendarmeries ou polices chinoises, ou de certains pays africains où les officiers, journalistes et autres détenus politiques sont extradés de leur cellule et exécutés sans autre forme de procès avant d’être portés disparus à jamais ! Dans l’ouvrage du colonel Ndao, même la vie privée du général Abdoulaye Fall a pris une bonne salve. Mais surtout, surtout, son système de commandement. Nous ne disons pas que tout son livre renferme des contre-vérités, mais enfin le colonel avait-il le droit de rendre publiques des décisions étatiques ultrasecrètes que le Général Abdoulaye Fall, en bon militaire, n’avait fait qu’exécuter en exécution d’ordres données par le politique qui commande les armées ?
A l’analyse, le colonel Aziz Ndaw a secoué des hommes et dépouillé leur système de commandement, mais l’Institution de la gendarmerie qu’il croyait déstabiliser s’en est sortie indemne à part quelques fissures et autres cicatrices qui ne tarderont pas à disparaître avec le temps.
Pape NDIAYE
Article paru dans « Le Témoin N° 1173 » –Hebdomadaire Sénégalais ( Juillet 2014)