Bangui (République centrafricaine ) – Il est de tradition dans la pratique républicaine que la loi des finances communément appelée budget prévisionnel soit étudiée et votée par les parlementaires avant l’ouverture de la seconde session ordinaire c’est à dire avant le commencement du nouvel exercice. C’est dans cette logique républicaine que le ministre des finances a soumis à l’approbation des élus du peuple le projet de loi des finances pour l’année 2020. À ce stade, il est important de souligner que l’article 86 de la loi organique n* 17.011 du 14 mars 2017 portant règlement intérieur de l’assemblée nationale définit le déroulement des opérations de vote et garantit la sincérité du résultat des urnes.
Cet article 86 du règlement intérieur dispose que « lorsque les votes sont recueillis, le président prononce la clôture du scrutin. Les urnes sont immédiatement portées à la tribune. Les secrétaires parlementaires procèdent au dépouillement du scrutin et le président en proclame le résultat ». Il est apparu quelques mois plus tard que la loi des finances promulguée et en phase d’exécution que les opérations de vote étaient émaillées de fraudes délibérément orchestrées par le premier vice-président de l’assemblée nationale et président de la séance.
Ces allégations sont appuyées par un support audio enregistré à l’insu et contre le gré du premier vice président de l’assemblée nationale qui décrit lui-même son forfait avec un air méprisant et moqueur.
Au passage, il faut rappeler qu’en droit universel, il est strictement interdit tout enregistrement audio, vidéo ou capture d’image de quelqu’un à son insu et surtout contre son consentement car il est constitutif du délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée et répréhensible par le droit positif. Interloqué par le caractère déloyal de la preuve du forfait, le citoyen lambda qui aspire à la vérité s’interroge :
La production d’un enregistrement audio comme preuve d’un forfait est-elle juridiquement recevable devant les juridictions judiciaires ? Le ministre des finances, initiateur du projet de loi controversé a t-il joué un rôle négatif dans ce énième scandale qui jette à nouveau l’opprobre sur cette noble institution de la république ? Ayant de façon écrasante une majorité parlementaire à l’assemblée nationale, que cache ce projet de loi au point de vouloir le passer en force par voie de fraude ? Dans quelles circonstances, ce support audio a été enregistré ? Qui est l’auteur de l’enregistrement audio et de la publication sur les réseaux sociaux ?
Dès lors qu’à travers cet enregistrement audio, des irrégularités constitutives de fraude sont signalées, il apparaît urgent de sanctionner les auteurs, co-auteurs et complices de ce forfait à grande échelle car elle biaise l’expression de la volonté des parlementaires et transgresse le fondement de notre démocratie.
Au delà de ces interrogations, le cas de l’espèce interpelle concomitamment le juge électoral pour apprécier la régularité des opérations électorales et éventuellement prononcer des sanctions ainsi que le juge pénal car la fraude électorale est constitutive d’un délit réprimé par le code pénal centrafricain.
S’agissant du volet électoral, il est primordial dans cette analyse de préciser que les irrégularités ou manœuvres frauduleuses enregistrées au cours d’une opération de vote n’entraînent pas automatiquement ou systématiquement l’annulation du scrutin. Il appartient souverainement au juge électoral c’est à dire le juge administratif d’apprécier la sincérité du scrutin en mesurant l’incidence de la fraude sur le résultat proclamé.
Selon les cas, le juge électoral peut rectifier, modifier les résultats ou annuler sachant que l’annulation entraîne de principe l’organisation d’un nouveau scrutin.
La jurisprudence qui a toujours été constante dans ce domaine confirme que le scrutin ne peut être annulé que si la fraude constatée a pour conséquence de déplacer un nombre important de voix pouvant fausser le résultat. En termes clairs s’il y’a un faible écart de voix, le scrutin est annulé. S’agissant du volet pénal, la production de preuve est libre même si elle est obtenue de façon déloyale et illicite. Aucune disposition légale ne permet au juge pénal d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale.
Même la cour européenne des droits de l’homme confirme la recevabilité d’une preuve obtenue illégalement dès lors qu’elle a pu être discuté dans le cadre d’un procès équitable. Au delà des débats doctrinaux, la jurisprudence a posé le principe par les décisions de la Cour de cassation (cassation criminelle du 6 avril 1993, cassation criminelle du 6 avril 1994) et le plus récent, la chambre criminelle de la cour de cassation statuant en audience publique du 31 janvier 2012 sur le pourvoi n* 11-85464 a rejeté le pourvoi en confirmant la décision rendue en première instance qui retient l’enregistrement audio obtenu de façon déloyale comme preuve.
Par ailleurs, même si on est tenté de douter de la sincérité des opérations de vote de destitution de l’ancien président de l’assemblée nationale, le prévenu bénéficie jusqu’à preuve du contraire de la présomption d’innocence avant et après la levée de son immunité parlementaire.
Pour finir, en attendant l’authentification de l’enregistrement et l’attribution sans équivoque de la voix au premier vice-président de l’assemblée nationale, le ministre des finances doit s’expliquer devant les parlementaires pour décoder ce que cachait ce projet de loi pour mériter un passage en force par voie de fraude.
Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Paris le 21 février 2020.
Bernard SELEMBY DOUDOU.
Juriste, Administrateur des élections.
Tel : 0666830062.