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Pourquoi Touadéra et Moscou ont soustrait le chef de guerre Hassan Bouba à la justice internationale

Bangui, 2 décembre 2021 (Corbeaunews – Centrafrique ) – En ciblant l’une des figures emblématiques du conflit centrafricain, le ministre de l’élevage et ancien milicien Hassan Bouba, la Cour pénale spéciale a mis à mal le fragile équilibre politique en place à Bangui.

Faustin Archange Touadera à gauche et son ex-ministre de l'élevage Hassan Bouba, interpellé par la cour pénale spéciale à droite
Le Président de la République Faustin Archange Touadera à gauche et son ex-ministre de l’élevage Hassan Bouba, interpellé par la cour pénale spéciale à droite. Photo combinée par la rédaction du CNC le 22 novembre 2021

 

Bangui n’en finit pas de résonner des conséquences de la tentative d’arrestation par la Cour pénale spéciale (CPS) du ministre de l’élevage Hassan Bouba. Le 19 novembre, un détachement de la gendarmerie vient l’interpeller à son ministère et l’inculpe pour crime de guerre et crime contre l’humanité. L’opération, justifiée par un mandat des juges de la CPS délivré le 30 octobre, a été montée dans le plus grand secret. L’exécutif centrafricain a été mis à l’écart, à commencer le ministre de la justice, Arnaud Djoubaye Abazène, et le chef de l’Etat, Faustin Archange Touadéra. Dès l’arrestation, une contre-offensive se met en place au plus haut sommet de l’Etat pour protéger Hassan Bouba, allié politique et militaire du président. Emmené par les gendarmes au camp de Roux de l’armée centrafricaine, le ministre, sous couvert d’être placé en détention ainsi que l’avait demandé la CPS, était au contraire pris en charge par des alliés, les paramilitaires russes du groupe Wagner, également basés au camp et dont il est proche.

 

Les juges de la CPS recalés à l’entrée

Invoquant la nécessité de préparer sa défense, Hassan Bouba a obtenu que son interrogatoire par les juges de la CPS soit repoussé de cinq jours. Mais à la date prévue, soit le 26 novembre à 10 h, les juges d’instruction ont été empêchés de pénétrer dans le camp pour interroger le ministre et éventuellement prononcer la mise en détention provisoire.

A la suite de ce bras de fer, Hassan Bouba invoque l’expiration de sa garde à vue et ressort libre du camp de Roux, encadré par la garde présidentielle centrafricaine. Les juges de la CPS ne parviendront à pénétrer dans le camp qu’en toute fin de journée et ne pourront que constater officiellement l’absence du suspect. Réfugié chez lui au PK5, le quartier musulman de Bangui, le ministre reste hors d’atteinte de la CPS. En permettant à Hassan Bouba de se soustraire à la justice internationale, le président de la République va à l’encontre de ses promesses de mettre fin à l’impunité. D’autant que l’implication de l’ancien chef rebelle dans l’organisation des raids contre les civils en 2018 à Alindao a été maintes fois documentée (AI du 29/11/21). Un reniement qui s’explique, politiquement, par la personnalité de Hassan Bouba et son rôle essentiel dans le dispositif gouvernemental. Le contrôle du ministère de l’élevage est effet stratégique, dans un pays où la transhumance, dont les acteurs sont massivement armés, brasse chaque année plusieurs millions de dollars, dont une large partie est captée par les groupes rebelles.

 

Une ascension fulgurante

C’est au sein des renseignements tchadiens sous Idriss Déby que Hassan Bouba se rapproche, au début des années 2010, du milicien Baba Laddé, peul comme lui. Le chef de guerre est alors à la tête du Front populaire pour le redressement (FPR) et devient l’ennemi public numéro 1 du président centrafricain François Bozizé. Après la chute de ce dernier, Hassan Bouba se fait vite une place dans la toute nouvelle milice à majorité peule, l’Union pour la paix en Centrafrique (UPC), née en 2015 d’une scission avec les autres mouvements de la coalition Séléka, et dirigée par l’ancien bras droit de Baba Laddé, le Nigérian Ali Darassa. Habile et ayant, à rebours des autres responsables de l’UPC, bénéficié d’une éducation primaire, Bouba devient l’indispensable coordonnateur politique du groupe. Il est en première ligne pour négocier les accords de paix à Khartoum en 2019 (Accord politique pour la paix et la réconciliation en République centrafricaine, APPR-RCA), et obtient pour le compte de l’UPC le poste de conseiller politique auprès du premier ministre de l’époque, Firmin Ngrebada.

Depuis Bangui, l’homme prend son autonomie vis-à-vis de son chef resté dans l’arrière-pays, à Bokolobo. Il se rapproche de la Russie et de son principal relais à Bangui, le groupe de sécurité privée Wagner. Pour Moscou, la connaissance du fonctionnement de l’UPC dont dispose Hassan Bouba est précieuse, et ses indications permettent aux instructeurs russes d’affaiblir considérablement l’état-major de la milice, décimé par de nombreuses arrestations et disparitions, tout en gardant un œil sur la transhumance. Rapidement, Hassan Bouba va être récompensé de ses services. En août 2020, le ministre de l’élevage Souleymane Daouda, figure de l’aile revendiquée profrançaise de l’UPC, meurt soudainement. C’est Hassan Bouba qui est nommé à sa place, contre l’avis d’Ali Darassa, qui le dénonce publiquement. Depuis cette promotion, le ministre est devenu l’un des plus proches du président Touadéra, qui lui a même proposé ces dernières semaines de prendre la codirection des renseignements centrafricains pour contrer la nomination de Baba Laddé à N’Djamena. Mais Bouba refuse. Malgré sa proximité avec Moscou, le ministre entretient le dialogue avec les diplomates occidentaux.

 

Méfiance dans le gouvernement

Son arrestation aurait été une perte stratégique énorme pour le gouvernement centrafricain en matière de renseignements, sans compter les répercussions judiciaires sur le personnel politique si le ministre en était venu à parler. Mais déjà, les conséquences politiques se font sentir. Les autres ministres par ailleurs chefs de groupes armés, Arnaud Djoubaye Abazène (justice), Herbert Gontran Djono Ahaba (développement de l’énergie), Gilbert Toumou Deya (désarmement), tous restés dans le cadre de l’APPR, se sentent menacés. Au niveau diplomatique, l’opération de la CPS peut mettre un coup de frein à la feuille de route de Luanda déjà mal engagée, et notamment aux processus de désarmement, les groupes armés devenant de plus en plus méfiants (AI du 17/11/21). Avec la saison sèche, les rumeurs de reprise des combats s’intensifient.

 

Colère dans les chancelleries

Le camouflet infligé à la CPS est violent. Mise en place en 2015, composée à parité de juges internationaux et centrafricains, la CPS est censée servir d’intermédiaire entre la cour criminelle centrafricaine et la Cour pénale internationale (CPI). L’institution a mis du temps à sortir des limbes, et cet imbroglio peut lui porter le coup de grâce. Le gouvernement prend en effet le risque de se fâcher avec les principaux bailleurs d’une cour déjà sous-financée : les Etats-Unis, les Pays-Bas, l’Union européenne (UE) et la France. Sans compter les autres partenaires, comme le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ou la Banque mondiale (BM), qui font de la lutte contre l’impunité l’un des axes de leur politique de développement. Le message est malvenu, alors que le gouvernement centrafricain a perdu 48 millions d’euros annuels avec la suspension des appuis budgétaires français et européen, et que le Fonds monétaire international (FMI) rechigne à signer une Facilité élargie de crédit (FEC), refroidi par les implications de Wagner dans les rouages de l’Etat (AI du 22/11/21).

 

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