Pour des nombreux enseignants centrafricains : l’intégration dans la fonction publique rime avec le calvaire et la souffrance

Par la rédaction de Corbeau News Centrafrique, CNC.
Formés pour éduquer, intégrés pour servir, les enseignants centrafricains, après leur intégration dans la fonction publique, sont envoyés au bout du pays sans rien. Ces affectations, loin d’être un tremplin, deviennent une sentence qui étouffe leurs ambitions.
En République centrafricaine, l’intégration des enseignants dans la fonction publique, censée être une étape vers la stabilité et la reconnaissance professionnelle, tourne au cauchemar pour beaucoup. Depuis quelques mois, des vagues d’intégrations ont lieu, notamment pour les enseignants formés dans des institutions comme l’École Normale des Instituteurs (ENI) de Bambari, dans la préfecture de la Ouaka, ou l’École Normale Supérieure (ENES) de Bangui. Ces professionnels, souvent des maîtres d’école ou des professeurs de collège et lycée, ont patienté des années pour décrocher ce sésame. Mais une fois intégrés, ils se retrouvent jetés dans des conditions qui frôlent l’absurde, voire l’indigne. Loin d’être une opportunité, cette intégration ressemble à une punition, un exil forcé dans des villes de province sans le moindre soutien. Et les citoyens centrafricains se demandent : est-ce vraiment une intégration ou un envoi à l’abattoir ?
Une affectation sans moyens
Prenons le cas typique d’un enseignant fraîchement intégré. Après des années de formation à l’ENI de Bambari ou à l’ENES de Bangui, beaucoup ont dû se débrouiller en attendant leur intégration. Certains ont enseigné dans des écoles privées, parfois pendant des années, pour subvenir à leurs besoins. Avec ce travail, ils ont construit une vie : une maison, des meubles, un minimum de confort pour eux et leurs familles. Puis arrive l’intégration dans la fonction publique, avec la promesse implicite d’une sécurité d’emploi, d’un salaire régulier, d’une certaine dignité. Mais la réalité frappe vite et fort : une affectation immédiate dans une ville comme Birao, à plus de 1 100 kilomètres de Bangui, ou Obo, dans l’extrême est du pays, sans un centime de frais d’installation, sans prise en charge du transport, sans rien.
Imaginez la situation. Un enseignant qui a économisé pour acheter une moto ou quelques meubles doit tout vendre à la hâte, souvent à perte, pour payer un billet de transport – quand il y a un moyen de transport disponible, ce qui n’est pas garanti dans un pays où les routes sont défoncées et les liaisons aléatoires. Arrivé sur place, il faut louer une maison, acheter de quoi manger, s’installer dans un environnement inconnu, parfois hostile, où les conditions de vie sont rudes. Et tout ça avec quoi ? Rien. L’État ne donne rien. Pas un franc pour aider à poser ses valises, pas un sou pour amortir le choc. L’enseignant doit se débrouiller seul, comme si son intégration était une faveur de l’État qu’il devait payer tout de sa poche.
Pire encore, une fois sur place, il faut officialiser sa prise de fonction. Cela signifie récupérer des documents, les faire valider, puis retourner à Bangui pour finaliser les démarches administratives et espérer un jour toucher un salaire. À ses frais, bien sûr. Aller-retour, des centaines de kilomètres, des jours de voyage dans des conditions épuisantes, tout ça pour un salaire qui, de toute façon, ne viendra pas tout de suite. Parce que dans les villes de province, il n’y a pas de banques, pas de guichets, rien. Le salaire, quand il est versé, reste à Bangui. Alors, chaque mois, l’enseignant doit refaire le trajet, dépenser encore, pour récupérer ce qui lui est dû. Et s’il a une famille ? Des enfants à nourrir ? C’est une équation impossible.
L’État centrafricain : une machine qui écrase ses propres fonctionnaires
Comment un gouvernement peut-il fonctionner ainsi ? Comment peut-on affecter des gens à des postes aussi éloignés, dans des zones où l’insécurité règne souvent, sans leur donner les moyens d’y aller, de s’installer, de vivre ? C’est une aberration. Dans n’importe quel pays qui se respecte, intégrer la fonction publique est une chance, une garantie de stabilité. En Centrafrique, c’est un piège. On te nomme, on t’envoie au bout du monde, et après, débrouille-toi. Si tu n’as pas travaillé avant, si tu n’as pas de savings, pas de famille pour t’aider, tu fais comment ? Tu vends quoi ? Tu empruntes à qui ? Tu manges quoi en attendant un salaire qui peut mettre des mois à arriver ?
Et ne parlons même pas des conditions de travail une fois sur place. Dans ces villes de province, les écoles manquent de tout : pas de tables, pas de chaises, pas de manuels, parfois même pas de toit. Les enseignants, déjà abandonnés financièrement, doivent en plus faire face à un système éducatif en ruines. Ils deviennent des héros malgré eux, ou plutôt des victimes d’un État qui ne sait pas – ou ne veut pas – prendre soin de ses propres agents.
La “tension de trésorerie” : une excuse qui ne tient plus
Quand on demande des explications, la réponse est toujours la même : “Il y a une tension de trésorerie“. C’est l’excuse passe-partout, le refrain qu’on sert aux fonctionnaires, aux citoyens, à tous ceux qui osent poser des questions. Mais cette tension de trésorerie, elle est où exactement ? Parce que pendant ce temps, le président et ses ministres voyagent à tour de bras. On parle de 500 à 700 millions de francs CFA par déplacement, des chiffres qui donnent le vertige dans un pays où un enseignant doit vendre sa moto pour payer un billet de bus. Les officiels se soignent à l’étranger, paradent dans des hôtels de luxe, pendant que les enseignants intégrés crèvent la faim dans des villages perdus. Quelle est cette tension de trésorerie qui bloque les frais d’installation de quelques milliers de francs CFA, mais laisse couler des centaines de millions pour des voyages inutiles ?
C’est un scandale. Un pays qui ne peut pas payer le transport de ses fonctionnaires, qui ne peut pas leur donner de quoi s’installer, qui les laisse livrés à eux-mêmes dans des zones où même les routes sont un luxe, ce pays ne mérite pas d’être appelé un État. C’est une coquille vide, une machine qui tourne à l’envers, avec la tête en bas et les pieds en l’air, comme si tout était fait pour humilier ceux qui veulent servir.
Une réalité qui dépasse les enseignants
Ce n’est pas juste une question d’enseignants maltraités. C’est le symptôme d’un mal plus profond. La République centrafricaine est un pays riche en ressources : diamants, or, uranium, bois, mais incapable de prendre en charge ses citoyens. Les groupes armés pillent, les élites s’enrichissent, et pendant ce temps, les fonctionnaires, ceux qui devraient être le socle de la nation, sont laissés pour compte. On affecte des gens dans des zones où l’insécurité est omniprésente, où les rebelles et les bandits font la loi, sans leur donner ne serait-ce qu’une chance de s’en sortir. C’est criminel.
Et les citoyens le voient bien. Ils ne sont pas dupes. Quand ils disent que la fonction publique, c’est un abattoir, ils ont raison. On envoie des gens au casse-pipe, sans moyens, sans protection, sans respect. Les enseignants intégrés ne sont pas les seuls à souffrir : c’est toute la population qui paie le prix d’un État dysfonctionnel. Les écoles ferment faute de professeurs, les enfants grandissent sans éducation, et le cycle de la misère continue.
Que faire ? Un cri d’urgence
Il faut que ça change. Le gouvernement doit arrêter de jouer avec la vie des gens. Si on intègre des enseignants, on leur donne les moyens de travailler : des frais d’installation décents, une prise en charge du transport, un salaire versé à temps et sur place. On ne peut pas continuer à balancer des excuses bidon sur la trésorerie pendant que les caisses se vident pour des voyages officiels. Il faut des priorités claires : investir dans l’éducation, dans les fonctionnaires, dans ceux qui tiennent le pays debout. Sinon, à quoi bon parler de reconstruction, de paix, de développement ? Tout ça, c’est du vent si les bases ne tiennent pas.
La République centrafricaine ne peut pas se permettre de traiter ses enseignants comme des pions qu’on déplace sans réfléchir. Ce sont des hommes et des femmes qui ont étudié, qui se sont battus pour un avenir meilleur, pour eux et pour leurs élèves. Les abandonner, c’est abandonner le pays tout entier. Et ça, c’est une honte que plus personne ne devrait accepter….
Par Alain Nzilo
CONTACTER CORBEAU NEWS CENTRAFRIQUE
Tel/ WhatsApp : +236 75 72 18 21
Email: corbeaunewscentrafrique@gmail.com
Rejoignez notre communauté
Chaine officielle du CNC
Invitation à suivre la chaine du CNC
Note : les deux premiers groupes sont réservés uniquement aux publications officielles du CNC