L’échec de la justice centrafricaine, chronique d’un désastre annoncé
Le magistrat Jacques Ouakara, président de la cour entouré par deux membres de ladite cour. CopyrightCNC
La récente session criminelle tenue à Bangui du 22 juillet au 20 août 2023 révèle les failles béantes du système judiciaire centrafricain. Les déclarations triomphantes du parquet général masquent une réalité bien plus sombre : une justice en crise, incapable de protéger les droits des citoyens et de lutter contre l’impunité.
Bangui, 28 août 2024.
Par la rédaction de Corbeau News Centrafrique.
Un bilan trompeur et l’échec de la justice centrafricaine.
Jacques Ouakara, procureur général près la Cour d’appel de Bangui, s’est empressé de vanter les mérites de cette session. “Sur 62 dossiers inscrits, nous en avons traité 49. C’est un bilan très positif”, a-t-il déclaré aux médias locaux. Le magistrat a souligné le traitement de 21 dossiers de viol, représentant selon lui 45% des affaires jugées.
Ces chiffres, en apparence impressionnants, dissimulent une réalité préoccupante. La quantité ne garantit pas la qualité, et le nombre de dossiers traités ne reflète pas la manière dont ils l’ont été.
Des enquêtes bâclées et des arrestations arbitraires, l’échec de la justice centrafricaine.
Le problème majeur qui ronge le système judiciaire centrafricain est la piètre qualité des enquêtes menées avant les procès. De nombreux témoignages dénoncent des arrestations arbitraires, sans preuves solides ni investigations approfondies.
Me Paul Zalambaye, avocat au barreau de Bangui depuis 15 ans, ne mâche pas ses mots : “Dans la majorité des dossiers que j’ai traités lors de cette session, les enquêtes étaient inexistantes. On se retrouve souvent avec des accusations basées sur de simples rumeurs ou des dénonciations non vérifiées”.
Le groupe Wagner, dont la présence en Centrafrique suscite la polémique, est particulièrement critiqué. Cette milice privée russe procéderait régulièrement à des interpellations illégales. “J’ai défendu plusieurs clients arrêtés par des mercenaires russes, sans mandat et sans la moindre preuve”, témoigne Me Sarah Z., avocate spécialisée dans la défense des droits humains. “Ces personnes se retrouvent ensuite en prison pendant des mois, parfois des années, avant d’être finalement jugées sur la base de dossiers vides”.
Une justice expéditive.
La rapidité avec laquelle certains dossiers ont été traités lors de cette session criminelle soulève de sérieuses interrogations. Comment prétendre juger équitablement des affaires aussi graves que des viols ou des assassinats en si peu de temps ?
“Certains procès n’ont duré que quelques heures”, s’indigne un autre avocat centrafricain. “C’est une parodie de justice. Les droits de la défense sont bafoués, les preuves ne sont pas examinées sérieusement, et les témoins sont à peine entendus.”
Cette précipitation s’explique en partie par l’engorgement des tribunaux et la volonté affichée des autorités de “vider les prisons”. Mais elle se fait au détriment d’un examen approfondi des faits et des preuves. Le risque d’erreurs judiciaires s’en trouve considérablement accru.
Des conditions de détention inhumaines.
Les conditions de détention des prévenus en attente de jugement sont un autre aspect problématique largement occulté par les autorités judiciaires. Les prisons centrafricaines, notamment celle de Ngaragba et du camp de Roux à Bangui, sont connues pour leur surpopulation chronique et leurs conditions sanitaires déplorables.
Selon un rapport récent d’Amnesty International, la prison centrale de Bangui accueillait en juin 2023 plus de 1 500 détenus pour une capacité de 500 places. Les prisonniers s’entassent dans des cellules exiguës, sans accès suffisant à l’eau potable ni aux soins médicaux de base.
Jean Billi, infirmier bénévole en milieu carcéral, dresse un constat alarmant : “Beaucoup de détenus arrivent à leur procès dans un état de santé déplorable, affaiblis par des mois ou des années de détention dans des conditions inhumaines. Certains souffrent de malnutrition sévère, d’autres de maladies chroniques non traitées. Comment peuvent-ils assurer correctement leur défense dans ces conditions ?”
Une justice sous influence.
L’indépendance de la justice centrafricaine est remise en question. En se félicitant des résultats de cette session criminelle, le parquet général manifeste une complaisance coupable envers le pouvoir en place.
Cette attitude n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, de nombreux observateurs dénoncent l’instrumentalisation politique de la justice centrafricaine. Les magistrats, soumis à des pressions multiples, peinent à exercer leurs fonctions en toute impartialité.
“Il existe une culture de l’autocensure au sein de la magistrature”, confie sous couvert d’anonymat un juge centrafricain. “Beaucoup de mes collègues préfèrent se taire et suivre les directives du pouvoir plutôt que de risquer leur carrière ou leur sécurité personnelle”.
Cette absence d’indépendance se traduit par un traitement à deux vitesses des affaires judiciaires. Les proches du pouvoir bénéficient souvent d’une certaine impunité, tandis que les opposants ou les simples citoyens subissent toute la rigueur d’une justice aux ordres.
Un manque criant de moyens.
L’état lamentable des infrastructures judiciaires illustre le peu de cas que fait le gouvernement de la justice. La Cour d’appel de Bangui, censée être le fleuron de l’appareil judiciaire du pays, ne dispose même pas d’une salle d’audience digne de ce nom.
Lors de la session criminelle de juillet-août, un incident révélateur s’est produit : la pluie s’est déversée à travers le toit défectueux, forçant l’ajournement d’une audience. Cette anecdote en dit long sur l’état de délabrement de la justice centrafricaine.
Le manque de moyens ne se limite pas aux infrastructures. Les magistrats et le personnel judiciaire travaillent souvent dans des conditions précaires, sans matériel informatique adéquat ni accès à une documentation juridique à jour. Les greffes sont submergés par la paperasse, faute d’un système d’archivage moderne et efficace.
Cette pénurie de moyens a des conséquences directes sur la qualité du travail judiciaire. Les enquêtes sont bâclées faute de moyens d’investigation, les jugements sont rendus avec retard, les décisions de justice peinent à être exécutées.
En un mot, la session criminelle qui vient de s’achever à Bangui, loin d’être un succès, révèle l’ampleur de la crise qui frappe le système judiciaire centrafricain. Une réforme en profondeur s’impose pour restaurer la confiance des citoyens et garantir l’État de droit. Sans une justice indépendante, efficace et accessible à tous, la reconstruction et la stabilisation de la République centrafricaine resteront un vœu pieux.
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