Publié par: Corbeau News ( Bangui ) – on ne règne sur rien à Bangui, mais on se bat pour ce rien avec une férocité digne d’un roman de Kourouma. S’il en était autrement, Mme Samba-Panza aurait depuis longtemps démissionné pour retourner à son métier, nettement moins exposé, d’assureur. Car voici une présidente par intérim à qui ses pairs, parrains et bailleurs de fonds font chaque jour sentir qu’elle n’est là que pour le décor et qu’elle ferait mieux de se préoccuper de la couleur de ses pagnes que de ce qui ne la concerne pas. Comme, par exemple, de gouverner.
À peine adoubée, la voici exclue d’une réunion cruciale consacrée à son propre pays, lors du sommet de l’Union africaine à Malabo. Motif : c’est déjà bien qu’on la perfuse à coups de milliards, il ne manquerait plus qu’elle se mêle de la composition du sérum. Nouvelle couleuvre un mois plus tard. Organisé par le Congolais Denis Sassou Nguesso, omniprésent président du Comité de suivi de la crise centrafricaine, le Forum de Brazzaville débouche fin juillet sur un accord de cessez-le-feu, mais aussi, en sourdine, sur une injonction : la régente Catherine est priée de se débarrasser au plus vite de son Premier ministre et de son gouvernement. Elle obtempère – d’autant que, dans le fond, ce Nzapayeké ne lui inspirait plus confiance.
Le problème est que, la couleuvre à peine digérée, se présente un boa – de tout autre calibre, comme chacun sait. En l’espèce, on explique à Mme Samba-Panza, chef de l’État (ou de ce qu’il en reste), que sa signature est attendue, le plus tôt étant le mieux, au bas du décret de nomination du nouveau Premier ministre qu’on a choisi pour elle et pour le bien des Centrafricains : ce sera Karim Meckassoua, personnalité compétente mais indocile, ou rien. Le “on”, ce sont à la fois les chefs d’État de la région, le groupe des proconsuls internationaux chargés d’exercer la tutelle locale et bien sûr la France. Laurent Fabius décroche même son téléphone, comme hier Jacques Foccart, pour que la dame comprenne bien ce qu’on attend d’elle.
Catherine Samba-Panza a beau être originaire d’une province où l’on consomme volontiers les boas, cette fois, ça coince. On peut être le produit d’une erreur de casting et avoir sa dignité, être une piètre politique et se rebiffer. Le 10 août, après avoir donné à ses interlocuteurs l’impression qu’elle se rangeait à leur choix, elle désigne à la tête de son futur gouvernement l’un de ses très proches, l’économiste Mahamat Kamoun, quasi inconnu hors de son voisinage. Stupeur. Fabius est vexé, Sassou Nguesso carrément furieux. Sans en avertir la dame, le président congolais envoie aussitôt un avion à Bangui récupérer une partie des leaders politiques centrafricains. Objectif : faire passer à la récalcitrante le message de revenir sur sa décision. Dans une lettre qu’il lui fait parvenir, DSN est explicite : vous ne pouvez pas garder Kamoun, trop clivant. Même conseil de la part de l’Angolais Dos Santos, auprès de qui Samba-Panza est allée quérir un soutien.
Mais là où d’autres, conscients du rapport des forces, auraient fini par rendre les armes, la présidente par intérim s’accroche. Le 22 août, un brin exaltée, elle annonce le maintien de son Premier ministre et la formation de son nouveau gouvernement. Déclaration d’indépendance d’une femme humiliée ? Un peu. Combat dérisoire, surtout. Car pendant ce temps, ce pays oublié de Dieu continue de creuser sa tombe, indifférent à ce théâtre d’ego. Le cessez-le-feu y est violé presque chaque jour, y compris dans la capitale. Et dans le Nord, des chefs rebelles de l’ex-Séléka, réarmés, évoquent de plus en plus ouvertement une sécession à laquelle ils ont déjà trouvé un nom, repris de celui d’un ancien sultanat : le Dar el-Kouti. Qui sauvera la Centrafrique ?
Par: Jeune Afrique