Centrafrique, un lugubre anniversaire pour le président Touadera
Bangui (République centrafricaine) – 20 mars 2020 20:15
Le 30 mars 2020, le président Touadera et ses proches fêteront bien isolés le quatrième anniversaire de leur accession à la présidence.
Sous la protection de 12 000 Casques bleus et d’une garde prétorienne de mercenaires, grâce également à la générosité de l’Union européenne, de la Bad et des institutions de Bretton Woods, tout irait pour le mieux pour l’ancien « candidat du peuple et de la rupture » choyé par la communauté internationale. En revanche, tout va toujours très mal pour le peuple centrafricain.
Une voyoucratie aux commandes
Il y a peu d’exemple dans le monde d’une telle imposture. Au degré zéro de la gouvernance actuelle, s’ajoutent une cécité et une surdité, qui confinent à la complicité, de la part de l’ONU, de l’Union africaine, du FMI et du G5 (Etats-Unis d’Amérique, Russie, France, Banque mondiale et Union européenne).
Le siphonnage de l’aide internationale, les détournements de fonds publics à tous les échelons, la vente à l’encan du patrimoine immobilier de l’État, l’aliénation illégale, avec pots-de-vin conséquents et désastres écologiques majeurs, des gisements aurifères et de diamant et les trafics multicartes de l’import-export ont permis, en toute impunité, des enrichissements personnels, comme jamais la République centrafricaine n’avaient connus en si peu de temps. On peut se demander si « les soins palliatifs » ne sont pas administrés à un État en phase terminale.
Un leurre pour la communauté internationale
La très grande majorité des Centrafricains sont en situation de quasi survie, tandis que quelques milliers d’autres, généralement à Bangui, n’ont jamais connu une aussi belle félicité.
Sans être exhaustif, on peut évoquer les événements tragiques qui affectent la population depuis plusieurs années, et dont Faustin-Archange Touadera ne peut s’exonérer en sa qualité d’ancien premier ministre de François Bozizé (2008-2013), les rébellions qui s’arrogent des parts importantes de la souveraineté nationale et les montages « entre-soi », dont certains ressemblent à des pactes mafieux.
On peut notamment citer les indispensables réceptacles qui attirent les financements extérieurs, mais largement inopérants, comme par exemples l’Accord de Paix et de Réconciliation du 6 février 2019, le DDRR, la Cour Pénale Spéciale, le Plan national de relèvement et de consolidation de la paix en Centrafrique, enfin, les soutiens financiers à un improbable processus électoral vicié dès son début. En 2020, la manne financière n’a jamais été aussi importante, depuis l’indépendance.
On peut se demander si, finalement, la Minusca n’assure pas plus une sécurisation du pouvoir installé au Palais de la Renaissance que celle des populations de l’arrière-pays. Cette présence onusienne permet à Bangui d’avoir une économie hors-sol, proche d’un business de guerre, qui conduit le FMI a envisagé une croissance d’un peu plus de 4% en 2019. Les 45% de la population centrafricaine et les 7% de réfugiés à l’étranger, qui sont en insécurité alimentaire sévère, apprécieront ces bons chiffres.
Temps mauvais pour le Président
Sans faire du Touadera bashing, il faut néanmoins reconnaître que les scandales affectant la présidence, le gouvernement, l’Assemblée nationale et les institutions républicaines n’ont jamais été aussi nombreux. Les frasques de plusieurs ministres et de ministres-conseiller, les affaires juteuses, mises sur la place publique, des proches du président et de son premier ministre, la pactisation avec les chefs de guerre des rébellions qui ont mis à feu et à sang le pays, l’appel aux mercenaires russes du groupe Wagner et l’alignement sur les positions de la Russie notamment lors des pourparlers de Khartoum, les campagnes haineuses des milices du clan présidentiel contre la France, la Minusca et les principaux opposants, les manoeuvres à l’Assemblée nationale pour la mettre au pas, « quoi qu’il en coûte » et le double jeu incessant du président ont ruiné tout le crédit de l’ancien Recteur de l’université qui, en 2016, avait suscité beaucoup d’espoirs.
Les dernières extravagances du pouvoir
On ne citera que celles qui viennent de se produire depuis un mois.
Ainsi la ministre des Affaires étrangères, Sylvie Baïpo-Temon, soutient publiquement ,et sans retenue, le mouvement des jeunes patriotes qui est ouvertement hostile à la Minusca. Outre ses affichages publics et ses soutiens au travers des médias, elle a été jusqu’à participer, avec le ministre de l’intérieur, Henri Wanzet Linguissara, à leur meeting du 17 février 2020. L’expulsion de quatre importants responsables de la Minusca y était réclamée, avec la véhémence des « cherche-à-manger ». Quelques jours plus tard, la ministre des Affaires étrangères s’exécutait, par note verbale, avec un ultimatum de sept jours, sous peine de perte de l’immunité diplomatique.
Faute de preuves documentées et devant les réactions indignées de l’ONU, Sylvie Baïpo-Temon était contrainte de retirer sa décision et de cesser son activisme.
Evidemment, la duplicité du président Touadera venait, une fois de plus, d’être pris en défaut.
Les doubles jeux de Touadera
1- Les combats entre le Fprc, plutôt composé de Rounga, et le Mljc, plutôt composé de Goula et Kara ont fait d’innomnbrables victimes. Des pourparlers de paix étaient attendus pour arrêter cette violence entre groupes rebelles qui gèrent le nord-est du pays. Ce fut fait et un accord a été signé le 19 mars 2020.
Ce ne fut ni la Minusca, ni le gouvernement, ni les religieux mais le chef rebelle Ali Darass, de l’Upc, qui assura la médiation. C’est ce même chef sanguinaire qui est responsable de nombreux massacres de chrétiens et animistes, notamment ceux d’Alindao. Evidemment, cette invraisemblable médiation ne pouvait se faire sans l’agrément du président Touadera.
2- le général de division Ludovic Ngaïféi Lemademon avait été remplacé, en 2018, dans les fonctions de chef d’État État-major des Armées. Ce limogeage ne prêtait pas à exégèses. Ce général prolixe dans les medias pour afficher son opposition et dénoncer la collusion avec les groupes armés rebelles faisait fi du devoir de réserve. Dans une dernière provocation, il réclamait sa mise à la retraite par anticipation. Ce qui fut fait par un décret du 14 mars 2020. On s’étonnera que le général soit placé en seconde section (retraite) « sur sa demande » et qu’il soit mis à disposition de la Fonction publique, alors qu’il aurait dû dépendre du ministère de la Défense.
Par ses propos de nature politiques, voire séditieux, le général aurait dû être sanctionné. Comme d’habitude, le président Toudaera rechigne à prendre ses responsabilités et préfère louvoyer.
3- s’ il se confirme que la divulgation de l’enregistrement des propos prêtés au premier Vice-président de l’Assemblée nationale, Jean-Symphorien Mapenzi, lui appartiennent effectivement, le « Mapenzigate » pourra illustrer le pourrissement du régime. En l’espèce, le député, très proche du président Touadera, aurait tout bonnement falsifié les votes de la loi de finances de 2020 et auparavant celui de la Déclaration politique générale du premier ministre Firmin Ngrebada, architecte de l’Accord de Khartoum. A Bangui, on rappelle également son rôle dans la destitution financière de Abdoulkarim Meckassoua, l’ancien président de l’Assemblée nationale. Evidemment, Jean-Symphorien Mapenzi a été réélu, le 6 mars 2020, à son poste de premier Vice-président de l’Assemblée nationale.
Comme partout, les conséquences de la pandémie du Coronavirus risquent fort d’être difficilement imaginables. En tous cas, les frontières terrestres et aériennes seront fermées. Le 18 mars 2020 , le patronat centrafricain ( Gica) a lancé un signal de détresse au chef de l’État. Quant à la Minusca, outre sa logistique et son ravitaillement qui seront très affectés, il y a désormais l’annulation du turn over des contingents et leur confinement en Centrafrique. Sera-t-il accepté par leurs États, leur famille et les militaires expatriés ? L’élection présidentielle de fin 2020- début 2021 paraît bien lointaine….
Avec Le monde Afrique