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Centrafrique : Touadéra va-t-il pouvoir tenir ?

 

 

Bangui, République centrafricaine, samedi, 9 janvier 2021 ( Corbeaunews-Centrafrique). Réélu au premier tour de la présidentielle, Faustin-Archange Touadéra a gagné son pari. Mais que fera-t-il de son second mandat ? Mis sous pression par les groupes armés, contesté par une opposition qui ne reconnaît pas une élection tronquée, le président ne bénéficie que d’une faible légitimité.

Quelques heures d’attente, mais aucune minute de répit. Le 4 janvier, avec une après-midi de retard, l’Autorité nationale des élections (ANE) a annoncé que Faustin-Archange Touadéra avait remporté 53,92 % des suffrages au premier tour de l’élection présidentielle du 27 décembre et qu’il était, par conséquent, réélu pour un second mandat. Le sortant devance de loin les opposants Anicet-Georges Dologuélé (21 %) et Martin Ziguélé (7,46 %). « Coup K.-O. » réussi.

À quoi doivent désormais s’attendre les Centrafricains ? Dès l’annonce des résultats, une partie des candidats ont annoncé qu’ils allaient déposer des recours devant la Cour constitutionnelle. Recours abusif au vote par procuration, bourrage d’urnes, non-présentation de procès-verbaux (PV)… Plusieurs opposants n’ont pas attendu pour demander l’annulation du scrutin présidentiel, qu’ils ont cependant peu de chances d’obtenir.

« Cette élection est une mascarade. Au-delà des fraudes, comme la non-présentation des PV aux représentants de l’opposition, un tiers seulement des inscrits [650 000 sur 1,8 million] a pu aller voter », dénonce un adversaire de Faustin-Archange Touadéra. « À qui la faute ?, rétorque un proche du président. Ce sont les groupes armés de la Coalition patriotique pour le changement [CPC] qui ont empché le vote et c’est François Bozizé qui a appelé au boycott. »

 « Bozizé a mal analysé la situation »

Au lendemain de l’annonce des résultats, un nom est en tout cas sur toutes les lèvres : celui de l’ancien président. Rentré au pays fin 2019, François Bozizé s’était porté candidat avant de voir son dossier rejeté début décembre 2020 par la Cour constitutionnelle. Il s’était ensuite allié à Anicet-Georges Dologuélé, en particulier sous l’impulsion de son directeur de campagne, Christian Guénébem… avant de favoriser la création de la CPC et d’appeler ses partisans à ne pas aller déposer leur bulletin dans l’urne.

« Dologuélé s’est laissé piéger par François Bozizé, déplore un membre de l’opposition. Il a négocié une alliance avec Guénébem en espérant récupérer une partie des voix du KNK [Kwa Na Kwa], mais Bozizé a préféré jouer sa carte personnelle avec les groupes armés ». Anicet-Georges Dologuélé a bien appelé ses partisans à se rendre aux urnes, mais l’éphémère alliance avec l’ex-président avait éclaté, tandis que la CPC se lançait à l’assaut des axes menant à Bangui pour mettre la pression sur le pouvoir. « Bozizé a fait une mauvaise analyse. La crise de 2013 a laissé trop de traces. Il y a aujourd’hui un fort rejet de ce type d’actions par la population, à qui cela a rappelé les pillages et les viols », analyse un ancien ministre.

IL NE PEUT PAS SE DIRE DÉMOCRATE, S’ALLIER AVEC DES GROUPES ARMÉS ET APPELER AU BOYCOTT

« Il ne peut pas se dire démocrate, s’allier avec des groupes armés et appeler au boycott en empchant les gens de son fief de voter pour son allié politique. Beaucoup de Centrafricains qui lui étaient favorables n’ont pas compris qu’il n’appelle pas simplement à un vote anti-Touadéra », poursuit notre source. Selon nos informations, plusieurs cadres du KNK étaient eux-mmes hostiles à la stratégie de leur leader, en particulier ceux qui s’étaient portés candidats aux législatives qui se déroulaient le mme 27 décembre.

Pour la CPC, « la lutte se poursuivra jusqu’à la victoire »

Le 4 janvier, à quelques heures de l’annonce des résultats de la présidentielle, la justice centrafricaine annonçait qu’elle avait lancé une enquête pour rébellion contre François Bozizé, lequel est déjà sous sanctions des Nations unies pour son rôle dans la crise de 2013. Annoncé en fuite, au Cameroun puis au Congo-Brazzaville, l’ancien président assure qu’il n’en est rien et qu’il a bien l’intention de rester en Centrafrique et d’y poursuivre son « combat pour la réconciliation et la cohésion nationales […] tant que le président Touadéra restera sourd à la voix du peuple ».

« Il a gardé quelques discrets soutiens à l’étranger, qui espèrent se servir de lui pour mettre la pression sur Touadéra, explique un diplomate en poste à Bangui. Mme si personne ne veut prendre le risque de le soutenir officiellement, il reste un levier intéressant pour les puissances régionales et internationales qui ne font pas confiance au président actuel. » D’autant que ses alliés de la CPC n’ont pas rendu les armes. Depuis le 3 janvier, ils ont investi une partie de la ville de Bangassou, où la force de l’ONU (Minusca) a bien du mal à les tenir en respect.

Composée de groupes hétéroclites issus de l’ancienne Séléka et des anti-Balakas, la CPC a-t-elle vocation à durer ? « Au vu du caractère très prédateur de ces groupes, qui vivent par le contrôle de territoires et de ressources, l’alliance devrait peu à peu se fracturer, estime un analyste. Mais ils ont les moyens de résister à l’armée centrafricaine et à ses alliés, notamment grâce à des bases de repli dans l’arrière-pays centrafricain, voire dans des pays voisins. »

Contacté par Jeune Afrique, un des leaders de la coalition, Noureddine Adam, se montrait convaincu : « La lutte se poursuivra jusqu’à la victoire, qu’elle soit politique ou militaire. Nous sommes déterminés. Il n’y a pas de liberté sans prix à payer. »

La Minusca n’est « pas là pour entamer une guerre totale »

Faustin-Archange Touadéra a-t-il les moyens de lancer une opération reconquête au lendemain de sa réélection ? L’hypothèse est peu probable. « Il peut l’annoncer mais je ne crois pas qu’il en ait davantage les moyens que lors de son premier mandat, même avec les renforts russes et rwandais de décembre », estime notre analyste. « Notre mission est de protéger les populations et de sécuriser les opérations de vote, pas d’entrer en guerre contre des rebelles qui contrôlent 80 % du pays », résume quant à lui un cadre de la Minusca. « L’ONU ne peut pas se permettre de combattre main dans la main avec des mercenaires russes accusés d’exactions sur le terrain », ajoute une source sécuritaire.

BEAUCOUP DE PAYS ONT SIGNIFIÉ À L’ONU QUE LEURS CONTINGENTS NE SONT PAS LÀ POUR ENTAMER UNE GUERRE TOTALE

À Grimari, plusieurs civils sont notamment décédés le 28 décembre, dont un salarié de Médecins sans frontières (MSF), alors que des mercenaires russes avaient ouvert le feu sur un véhicule soupçonné d’appartenir aux groupes armés. « Beaucoup de pays ont signifié à l’ONU que leurs contingents ne sont pas là pour entamer une guerre totale », rappelle un ex-ministre. Quant à une montée en puissance de l’alliance rwando-russe, elle pourrait ne pas plaire à tout le monde. Selon nos informations, Kinshasa regarde de près la situation, tout comme la nouvelle administration américaine de Joe Biden et, bien sûr, la diplomatie française.

« Paris a joué le jeu en ordonnant le survol des rebelles par son aviation mais ils ne vont pas laisser l’influence des Russes grimper encore », analyse un diplomate. Mi-octobre, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et le président Touadéra s’étaient entretenus au téléphone au sujet de leur coopération militaire.

Le 28 du même mois, le Premier ministre, Firmin Ngrebada, était reçu par le ministre russe de l’Énergie, Alexandre Novak, pour une discussion sur « le secteur de l’énergie ». Au début du mois de décembre à Moscou, une délégation centrafricaine composée de Jean-Claude Rameaux Bireau, ministre conseiller chargé de l’Économie à la présidence, et Pascal Bida Koyagbelé, ministre délégué chargé des Grands Travaux et des Investissements stratégiques, a signé un contrat avec la société diamantaire russe Alrosa.

Une violation de l’embargo le jour de Noël ?

Le gouvernement centrafricain a-t-il obtenu des contreparties à ces bonnes relations commerciales ? Selon nos informations, au moins deux hélicoptères ont été livrés le 25 décembre, via un appareil de transport russe, à l’aéroport de Mpoko à Bangui, en apparente violation de l’embargo sur les armes en Centrafrique. Toujours selon nos sources, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est saisi de la question, tout comme de celle de l’arrivée en renfort à Bangui, quelques jours plus tôt, de 300 mercenaires russes.

POUR L’INSTANT, IL EST EN POSITION DE FORCE, MAIS IL VA DEVOIR ASSEOIR SA CRÉDIBILITÉ ET SERA OBLIGÉ DE DISCUTER AVEC LES PARTIS POLITIQUES

Des sanctions pourraient très prises par un comité spécial au sein du conseil. Plusieurs dizaines de véhicules blindés russes avaient déjà été livrés ces derniers mois à Bangui, cette fois en conformité avec des dérogations accordées dans l’embargo par les Nations unies. Mais celles-ci avaient déjà provoqué quelques tensions au sein du Conseil de sécurité, la France et les États-Unis surveillant de près les atterrissages de cargos russes à Mpoko.

« La France ne va pas se laisser marginaliser encore davantage en Centrafrique et les Russes sont maintenant trop implantés pour lâcher du terrain. La rivalité qui avait été surestimée dans les médias me paraît aujourd’hui plus réelle et les prochaines années seront intéressantes sur ce plan-là, résume Hans de Marie Heungoup, chercheur à International Crisis Group. Chacun va chercher à prendre la main sur l’après-élection, Moscou en misant tout sur Touadéra et Paris en poussant pour un dialogue national. »

“Je ne m’associerai pas à cette escroquerie”

S’il a refusé de tenir une concertation nationale en amont des élections, comme plusieurs opposants le demandaient et comme la Communauté économique des États d’Afrique centrale (Ceeac) lui en avait d’abord fait la recommandation, Faustin-Archange Touadéra peut-il aujourd’hui s’en passer ? Sa légitimité électorale est plus faible qu’en 2016, à l’occasion de sa première élection, seul un tiers des Centrafricains inscrits sur les listes électorales ayant été en capacité de voter cette année. « Pour l’instant, il est en position de force, mais il va devoir asseoir sa crédibilité et sera obligé de discuter avec les partis politiques et, peut-être, l’ensemble des forces vives de la nation pour calmer la situation », estime un ancien ministre.

JE NE CROIS PAS QU’IL ACCEPTERA DE FAIRE DE VRAIES CONCESSIONS

« En février 2019, il a signé l’accord de Khartoum avec les groupes armés sans consulter l’opposition, et cela n’a eu aucun effet bénéfique. Il lui faut désormais associer Dologuélé, Ziguélé et les autres », affirme un diplomate. Tout en contestant la réélection de Touadéra, la plupart des candidats de l’opposition continuent d’appeler à la tenue d’une grande concertation nationale. Le 29 décembre, François Bozizé et le KNK ont annoncé qu’ils poursuivraient le combat « tant que le président n’acceptera pas la concertation, le dialogue et la démocratie véritable ». Mais une concertation réelle peut-elle avoir lieu entre Touadéra, une CPC armée ou un Bozizé sous le coup d’une enquête pour rébellion ?

« Il peut, a minima, organiser un forum pour contenter une partie de l’opposition et tempérer les ardeurs de la Ceeac, des voisins congolais et tchadiens et de certains partenaires internationaux, mais je ne crois pas qu’il acceptera de faire de vraies concessions », explique un analyse.

« S’il ne veut pas concéder un gouvernement d’union nationale ou un calendrier vers d’autres élections, ce qui paraît improbable, est-ce que Dologuélé et Ziguélé auront un intért à participer ? », s’interroge un autre expert. Le 5 janvier, Anicet-Georges Dologuélé s’est montré ferme : « Il y a 5 ans, j’avais reconnu la victoire de Touadéra moins d’une heure après l’annonce des résultats [alors que] je savais qu’il n’avait pas gagné. Cette fois, je ne m’associerai pas à cette escroquerie. »

 

Par Mathieu Olivier

Avec jeune Afrique

 

 

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