Une image vaut mille mots. Vous pourrez lire tant que vous le voudrez à propos de la crise qui sévit ici, en République centrafricaine, que vous ne parviendrez jamais à la comprendre aussi bien que si notre télé nationale se décidait à y envoyer quelqu’un pour vous la faire découvrir.
Malheureusement, ICI Radio-Canada vit présentement des moments difficiles. Et en cette heure où les grands patrons décident qu’il faut se serrer la ceinture, les cotes d’écoute ont le dessus sur les engagements plus idéalistes.
L’Afrique ne « vend » pas. Mais ce qui est encore plus préoccupant, c’est qu’elle ne se « vend » pas non plus aux grands patrons de la salle des nouvelles. Et après tout, à quoi bon ? Les histoires centrafricaines d’Abakar, Noëlla, Sylvestre ou Fatimé pourront bien être racontées par d’autres. On pourra bien laisser les gens de France 24 s’y rendre, puis leur acheter quelques petites images pour pas cher qu’on montera ensuite bien confortablement à Montréal en les faisant commenter en entrevue chez Patrice Roy ou Anne-Marie Dussault par un expert quelconque qui n’a jamais mis les pieds à Bangui.
Mais ce qui est vraiment triste pour Abakar, Noëlla, Sylvestre, Fatimé et vous, c’est que cette crise est bien plus complexe que ce qui vous est exposé en trois minutes entre le dernier esclandre du Dr Barrette et ce qui arrive avec le contrat de P.K. Subban. Et à cela, vous me répondrez « qu’on s’en fiche ». Et vous aurez probablement raison.
Elle se trouve là, la tragédie. Avec ces cotes d’écoute et cette dictature du nivellement vers le bas qu’elles provoquent, les patrons de Radio-Canada en oublient ces petits garçons et petites filles de chez nous, qui eux, oui, sont intrigués par ce monde lointain que la présence sur place d’une Sophie Langlois ou d’un Jean-François Lépine permet de rendre plus accessible. Ces petits gars et petites filles qui parleront peut-être le lendemain matin à leurs amis de la cour de récré d’autre chose que des pitreries d’un quelconque fou du roi ou de la piètre performance de la famille Gagnon de Laval à Un Air de Famille.
nnn
Le 11 septembre 2001, j’avais onze ans. Et déjà, je débattais avec mes amis, après avoir joué à la « tag », d’une possible invasion de l’Afghanistan par les États-Unis.
Chaque soir, religieusement, j’écoutais le Téléjournal, tentant de comprendre un peu mieux ce qui se passait là-bas, à l’autre bout de ce monde qui est tout aussi mien qu’il est vôtre. Et depuis, j’ai coproduit et coréalisé deux documentaires pour Radio-Canada, et enseigné le journalisme à des reporters locaux au Soudan du Sud et, maintenant, en République centrafricaine. Le petit gars de famille modeste que je suis n’aurait jamais ainsi eu cette envie de partir découvrir le monde et ses problèmes, n’eût été des excellents reportages à l’étranger que notre télédiffuseur national produisait.
Radio-Canada est en train d’abandonner la transmission du savoir pour celle, moins chère, mais oh combien plus cheap, du culte du divertissement et du vedettariat de bas étage. On ne se rendra plus en Syrie pour y exposer les horreurs de la plus terrifiante guerre civile à avoir frappé notre siècle à ce jour, mais on laissera Janette critiquer impunément les femmes voilées en faisant d’idiotes généralisations à Tout le monde en parle.
Radio-Canada doit retrouver ses lettres d’honneur. Cela ne se fera pas par une vague redéfinition de son « branding » ou par d’additionnelles coupures, mais par un renforcement de ce qui l’a autrefois rendue si forte – c’est à dire par un retour aux sources mêmes de son mandat, qui est d’éduquer la population canadienne.
Il faut sortir de la roue infernale du contenu dicté par la cote d’écoute, redonner son côté culturel à ce qui est devenu « people », ramener le savoir dans « l’information », et sortir les correspondants du plateau de Céline Galipeau pour les ramener sur le terrain. À force de simplifier le monde à outrance, on finira par renforcer la croyance des simples d’esprit qu’il l’est réellement. Et ça, ça augure mal pour un pays aussi complexe que le nôtre.
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