Les chefs d’État de la Ceeac doivent se réunir vendredi pour évoquer la situation en Centrafrique. Le chef de la Misca (la force africaine), le général congolais Jean-Marie Michel Mokoko livre pour “Jeune Afrique” son analyse.
Jeune Afrique : Quelle est votre analyse de la situation sécuritaire en Centrafrique ?
Général Mokoko : Elle évolue favorablement. La vie est en train de reprendre à Bangui. Nous ne connaissons plus les troubles auxquels nous avons fait face en décembre. Les pertes en vie humaine sont aujourd’hui bien moins importantes. Toutefois, il y a encore des pics de violences. Les anti-balaka, qui constituent notre principal souci, se transforment en des bandes de malfrats attirés par le pillage et les braquages. C’est une nébuleuse dont nous n’avons jusqu’à présent pas réussi à détecter les chefs, dont les mots d’ordre sont suivis par la base.
Les Séléka ont, quant à eux, un mode opératoire que nous maîtrisons. Ils sont en uniformes et ont compris que le rapport de force n’est pas en leur faveur. Ils ont accepté les mesures de confiance.
Lors du dernier pic de violence, l’attaque de l’église Fatima fin mai, le Premier ministre a évoqué une tentative de déstabilisation politique. Que répondez-vous ?
Ceux qui ont crié au complot n’ont pas réussi à nous en donner les preuves. Que s’est-il passé à Fatima ? Nous étions alors dans une période d’accalmie. Un ou deux jours avant, une frange des musulmans et des anti-balaka ont débuté un travail de réconciliation et ont organisé un match de football. Mais à la fin de la rencontre, trois musulmans ont été assassinés.
Le jour de la tuerie de Fatima, un groupe d’anti-balaka a décidé de frapper le 3e arrondissement. Mais cette fois-ci, les jeunes musulmans, qui se sont eux aussi organisés en groupes d’autodéfense, les attendaient en nombre et ont contre-attaqué. Sous la pression, les anti-balaka se sont réfugiés dans l’église. La poursuite des combats a entraîné les décès que l’on connaît.
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Si la vie reprend à Bangui, on ne peut pas en dire autant de la province, comme le montre les récentes tueries près de Bambari, où près de 70 personnes sont mortes…
En province, les difficultés persistent parce que nos effectifs ne sont pas assez important. Au Kosovo, qui fait le centième de la RCA en superficie, il y avait 49 000 hommes. Si nous cumulons Sangaris, Misca et Eufor, les effectifs tournent autour de 8 000. Il faut aussi souligner que les anti-balaka n’ont plus d’argent, ne sont plus soutenus et font aujourd’hui du banditisme. Là où nous ne sommes pas, ils érigent des barrages, font payer les commerçants et les automobilistes.
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Le cas précis de Bambari est complexe. Selon le commandant de la Misca, une rumeur selon laquelle les anti-balaka avaient attaqué les éleveurs Peu,ls a criculé. L’apprenant, les Séléka basés à Bambari ont lancé des représailles. Or, il s’est avéré qu’il s’agissait d’une frange indisciplinée de la Séléka qui avait attaqué les Peuls pour voler du bétail.
La seule façon de juguler totalement la violence est que la classe politique participe à la réconciliation
Les Séléka sont donc divisés ?
C’est exact. Certains n’acceptent pas les mesures de cantonnement. Il y a aussi des brebis galeuses qui n’obéissent à personnes. Ce n’est pas une armée formée et disciplinée.
Par qui les anti-balaka étaient-ils soutenus ?
Tout le monde sait qu’une frange des anti-balaka a été créée par François Bozizé. Ils recevaient des mandats par Western union, pas de grandes sommes certes, mais c’est tout de même significatif.
Bozizé doit-il être ramené à la table des négociations ?
C’est ce que l’on souhaite. La seule façon de juguler totalement la violence est que la classe politique participe à la réconciliation et à l’amélioration de la situation sécuritaire. Je suis de ceux qui poussent les autorités centrafricaines à négocier avec tout le monde.
Quel est votre analyse de la réorganisation de la Séléka lors du congrès de Ndelé ?
L’avantage est qu’une hiérarchie avec qui nous pouvons traiter a été créée. Par contre, aucun leadership politique ne s’est dégagé.
Le rapport de force, avec la puissance de feu de Sangaris, est de notre côté.
Quelles sont les intentions de la Séléka ?
Nous sommes un peu dans l’expectative. Se concentrent-ils pour revenir à Bangui ? Ça m’étonnerait. Le rapport de force, avec la puissance de feu de Sangaris, est de notre côté. Si les Séléka venaient à remettre en cause la stabilité de la transition, nous aurions les moyens de les corriger. En dehors de Noureddine Adam, dont je ne sais pas à quoi il joue, la plupart de leurs chefs en sont conscients.
Plus d’un mois après l’annonce par Catherine Samba-Panza d’un remaniement imminent, aucune annonce n’a été faite. Pourquoi ?
La Centrafrique est un pays dans lequel les gouvernants n’ont aucun levier et qui travaille sur la base des arrangements signés à Libreville ou N’Djamena. Si le gouvernement tarde à sortir c’est sans doute parce que Samba-Panza a besoin d’une caution de la communauté internationale et de la sous-région.
Que doit-on attendre de la réunion qui aura lieu vendredi en marge du sommet de l’UA?
Elle donnera sûrement des orientations très claires. Chacun fera aussi le bilan : cela fait trois mois que la présidente est là, et les choses n’avancent pas. Il y une petite déception. Catherine Samba-Panza va donc pouvoir nous dire comment elle voit les choses et ce qu’elle souhaite pour le pays.
Y a-t-il eu lors du départ forcé de Michel Djotodia en janvier 2014, un accord tacite prévoyant que si un chef de l’État chrétien était élu (ce qui est le cas de Catherine Samba-Panza), le Premier ministre devrait être musulman ?
J’étais à N’Djamena et je n’en ai pas été le témoin. Mais la nomination d’un Premier ministre musulman dans le contexte centrafricain est-elle la bonne solution ? Je suis dubitatif.
Quel a été l’impact du départ des soldats tchadiens de la Misca ?
Ça a été un coup dur. Ils représentaient un bataillon aguerri. Le secteur qu’ils occupaient s’est retrouvé vidé du jour au lendemain. Il a fallu parer au plus pressé pour compenser leur départ. Et puis, notre perception du travail du contingent, je dis bien le contingent, n’est pas la même que celle qu’en avait l’opinion publique, surtout après que l’on a prétendu fin mars qu’ils avaient tiré sur un marché sans discernement en rentrant dans Bangui.
Les Tchadiens travaillaient bien. Ils désarmaient les Séléka à notre grande satisfaction. D’ailleurs, l’unité prise à partie par des anti-balaka descendait avec un lourd arsenal récupéré dans le Nord.
Les Tchadiens ont eu contre eux un passif lié à la présence de leur pays en RCA depuis des années et le poids politique qu’ils ont toujours eu. Quand les Séléka sont arrivés la confusion est née du fait qu’ils portaient des uniformes qui ressemblaient curieusement à ceux des soldats tchadiens.
Propos recueillis par Vincent Duhem, à Malabo. (Jeune Afrique)