Sénégal: La Présidence crée une Délégation Générale au Renseignement National

Publié le 20 octobre 2014 , 4:55
Mis à jour le: 20 octobre 2014 4:55 pm

Corbeau News Centrafrique:

Page couverture du journal le Temoin de Dakar

Pour harmoniser le fonctionnement des « services » :

Sénégal: La Présidence crée une Délégation Générale au Renseignement National

Pour remédier à l’éparpillement des multiples structures s’occupant de la question et rationaliser leur fonctionnement, le président de la République vient de créer dans le plus grand secret une Délégation générale au Renseignement national (DGRN). Il a aussi nommé les hommes chargés d’animer cette nouvelle Délégation dans la plus grande discrétion. Ce qui est normal et compréhensible compte tenu de la grande sensibilité et du caractère stratégique de ces questions. Quand les agents très spéciaux font leur mue, c’est à l’abri des indiscrétions.

C’est un tsunami qui vient de se produire dans le monde du renseignement sénégalais. En effet, le président de la République vient de faire table rase des multiples structures qui existaient — et se faisaient souvent des crocs en jambes — jusque-là pour créer en lieu et place une Délégation générale au Renseignement national.

Le 31 juillet dernier, le président Macky Sall a, en effet, par décret personnel,créé à la présidence de la République « un service dénommé Délégation générale au renseignement national. » L’objectif visé dans la création de ce nouveau service est le regroupement de tous les services de renseignement qui étaient logés dans divers ministères et au niveau de la présidence de la République. Lesquels seront fondus désormais dans la nouvelle Délégation. Il faut dire que, jusque-là, le ministère des Forces armées s’occupait de renseignement extérieur à travers la DDSE, la direction de la documentation et de la sécurité extérieure alors que le renseignement intérieur était abrité parle ministère de l’Intérieur avec l’ancienne DSE, Direction de la Sûreté de l’Etat, devenue par la suite la DST, direction de la sécurité du Territoire. D’autres services existaient mais avec des dénominations qui ne les désignaient pas, a priori, comme des services de renseignement.

A un autre niveau, pour la coordination du renseignement et pour faire face à des menaces nouvelles, des organes comme le Cellule d’Orientation Stratégique, COS, ou l’Agence nationale de la Sécurité (Anse) ou encore la Cellule antiterroriste avaient été institués au niveau de la Présidence. Du fait des multiples rivalités entre ces différents services, leur efficacité s’en ressentait évidemment. C’est sans doute la raison pour laquelle le président de la République a estimé devoir rationnaliser le fonctionnement du renseignement dans notre pays.

Le chamboulement décidé semble destiné à donner plus de tonus aux services en ce que les nouvelles fonctions permettent d’augmenter considérablement  les capacités des hommes chargés d’animer le renseignement. Ce en leur conférant davantage de pouvoirs et d’autonomie. D’abord, ils ne sont plus sous la tutelle d’un ministre. Ce qui handicapait souvent le fonctionnement des différents services de renseignementdu fait que les moyens venaient souvent d’une caisse commune du ministère. Ensuite, les directions s’occupant du renseignement étaient traités exactement de la même manière et mises sur le même pied que les autres directions des ministères auxquels elles sont rattachées. Résultat : malgré la spécificité du job, un directeur du renseignement émargeait au même niveau qu’un simple autre directeur collègue. Désormais, les animateurs du renseignement sortent du rang sur le plan financier. En tout cas, le Délégué Général du Renseignement national aura rang de ministre. A ce poste est annoncé le général à la retraite Farba Sarrqui a été à la tête de la DDSE avant de prendre la direction du COS. L’amiral Farba Sarr, c’est ce colonel dont nous vous disions que, ayant fait ses adieux au président de la République qui venait juste de prendre fonction, s’était vu répondre : « comment ça, vous allez prendre votre retraite ? Il n’y a donc aucun moyen de vous retenir ? » Devant sa réponse selon laquelle le règlement militaire ne prévoyait aucune dérogation, le Président lui avait demandé : « et si je vous nommais général ? » Réponse de l’intéressé : « je pourrais alors rester deux ans de plus. » Le Président : « Eh bien, je vous nomme général ! » C’est cet officier veinard qui dirige la nouvelle Délégation Générale au Renseignement. Celui qui aura en charge la Direction générale du Renseignement Intérieur (DGRI) est le commissaire Alioune Diagne. Quant au Directeur Général du Renseignement Extérieur (DGRE),il sera sous la responsabilité du  général Samba Fall, un ancien baroudeur de l’Armée qui a dirigé du temps où il était jeune capitaine les redoutables commandos marins de la base d’Elinkine, en Casamance. En quelque sorte, la DST et la DDSE sont « déplacées » au niveau de la DGRN. Par la même occasion, la DDSE va disparaître de même que la COS et l’ANS, mais la DST, elle, va survivre.

Cette grande révolution dans l’organisation du renseignement obéit comme en France à des exigences de cohérence.  Reste à savoir comment tous les hommes qui sont au cœur du renseignement vont digérer ceschangements profonds dans la philosophie du renseignement dans notre pays. La grande rivalité entre services, notamment entre militaires et policiers, et le conservatisme ne vont-ils pas avoir raison de cetteévolution ? En adoptant la même architecture que celle qui existe en France, le président de la République copie,comme son prédécesseur Me Abdoulaye Wade, les mutations testées à Marianne. Il y une dizaine d’années, la DSE avait été transformée en DST. Ce qui avait horrifié les spécialistes parce que cette DST était allégée d’une bonne partie de l’espace traditionnel d’évolution de sa devancière. Ce qui serait la cause des failles dans le renseignement ces dernières années. Avec l’islamisme armé, les nouvelles menaces sur la sécurité nationale, les barbouzes et espions sénégalais regroupés au sein de cette DGRN ne vont pas chômer, c’est sûr.

Il faut noter que sous les socialistes aussi, au lendemain des événements de février 1996, lorsque des Moustarchidines avaient tué huit policiers, les carences des services de renseignements avaient été pointées. Djibo Kâ était ministre de l’Intérieur et la présidence de la République avait soutenu que la Bnse (Brigade nationale de sûreté de l’Etat) n’était pas  au courant de cette manifestation. En tout cas ne l’avait pas signalée. Pour mieux coordonner le Renseignement, le CENCAR (Centre National de Coordination et d’Animation du Renseignement) avait été créé et logé à la Primature. Ce service, qui comprenait en son sein des militaires, des policiers, des gendarmes (dont le fameux colonel Abdoulaye Aziz Ndao !), des douaniers et des diplomates, était dirigé par l’alors colonel Pape Khalil Fall. A l’époque, c’est pour qu’il ne fasse pas de l’ombre et ne concurrence pas le BSPR (Bureau de Sécurité de la Présidence de la République, le redoutable Rondon !) que le CENCAR, dont le véritable patron était en réalité le général Boubacar Wane, avait été rattaché administrativement à la Primature.

Moustapha BOYE

« Le Témoin » quotidien sénégalais (Octobre 2014)

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