Monsieur NDUI-YABELA,
J’ai lu avec l’attention qui sied votre production, au sujet du projet de rédaction d’une nouvelle Constitution.
Je n’y aurais pas répondu, si vous ne m’aviez apostrophé, je pèse bien mes mots.
Je voudrais consacrer quelques minutes de mon précieux temps pour y apporter quelques précisions aussi bien sur le fond que sur la forme.
SUR LA FORME
Monsieur NDUI-YABELA. J’avoue une grande tristesse, à la lecture de ce texte, censé avoir été écrit ex-professo. A la vérité, un amas de lieux communs, disponibles sur Wikipédia, donc accessibles au commun des mortels, qui ne permettent pas d’établir une érudition dans ce domaine particulier du droit.
L’une des marques des grands, dans leur domaine, est l’urbanité, lorsqu’on s’adresse aux autres, surtout aux adversaires, avec courtoisie, au nom du relativisme, qu’on apprend déjà au lycée, le caractère non absolu du savoir humain. Vous n’assenez que des certitudes. Vous ne pouvez donc pas accéder au savoir, monsieur NDUI-YABELA, car le doute est le chemin qui mène au savoir. Vous devez revoir vos fondamentaux. C’est une leçon éternelle que m’a laissée mon défunt père, d’affectueuse mémoire, appartenant à cette caste rare d’enseignants de l’avant indépendance. Chaque fois que je lis des fausses certitudes comme les vôtres, je m’empresse de relire ses écrits, jaunis par le temps, toujours d’actualité. Or, vous dites, péremptoire, que je suis « un petit Avocat », que « l’une des grosses tares de certains juristes, voire de certains intellectuels Centrafricains, c’est qu’ils actualisent rarement leurs connaissances ». Je ne sais pas ce qu’un grand Avocat, mais ce que ce je sais, c’est que j’ai fait mes études jusqu’en 1997, à l’Université Cheick Anta Diop, avec à la clé une maitrise de droit (oui, on disait encore Maîtrise au siècle dernier), avant de les parachever avec un diplôme post-doctoral (LL.M) à la Howard School of Law. A ce jour, moins de dix Centrafricains ont fait ce cursus. Que l’Avocat d’Affaires que je suis a une longue expérience professionnelle derrière lui. Il y a quatre jours d’ailleurs, en visioconférence, depuis Bangui, j’intervenais devant la Chambre Arbitrale de Paris, à une audience de Procédure, dans la défense de ma cliente, la société Baraldi, contre l’Etat Centrafricain. Que le Cabinet Mboli-Goumba, qui travaille également avec le département d’Etat, est chargé de défendre la société Axmin, que j’ai cotée à la bourse de Toronto, en collaboration avec l’un des plus grands Cabinets, Herbert Smith. Il s’agit d’une affaire qui vaut 3 milliards d’euros. Je ne compte pas le nombre de sociétés cotées aux bourses de New York, Londres. A moins de dire, comme certains, par ignorance « il a gagné combien d’affaires » ! Etre Avocat, ce n’est pas seulement prendre sa robe et aller chaque jour au Tribunal ou à la Cour.
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S’agissant des intellectuels Centrafricains qui ne liraient pas, de la part de quelqu’un qui prétend morigéner ou administrer une mercuriale, c’est fâcheux car il s’agit d’une affirmation gratuite, sans base. A vous lire, on peut d’ailleurs pardonner à quelqu’un de penser que votre affirmation est un autoportrait. Car, monsieur NDUI-YABELA, vos phrases sont incorrectes aussi bien sur le plan de la forme que du fond. A titre d’exemple, vous affirmez « depuis l’aube des temps, le peuple a toujours été souverain dans la prise des décisions ». Quel Peuple ? Parlez-vous du nôtre, censé être le référentiel de votre production ? Le Peuple Centrafricain a-t-il été toujours souverain ? Même pendant la colonisation, la période des grandes concessions ? Même en remontant plus loin dans le temps ? Il est aisé de répondre à ces interrogations par la négative. En élargissant, affirmer que le Peuple a toujours été souverain, c’est méconnaitre l’histoire de la conquête des libertés des hommes, partout dans le monde, au travers de l’histoire. Ce qui est très fâcheux pour un « sachant ».
Pour ne pas ennuyer les lecteurs de vos phrases qui ne « respirent pas » et remplies d’incorrections, monsieur NDUI-YABELA, je n’en retiens qu’une seule : « Car, toute bonne politique surtout dans les démocraties modernes tout part du peuple et doit aboutir au peuple ». Je cherche encore à comprendre ce que vous vouliez exprimer comme pensée. Est-ce parce que la confusion est dans votre savoir apprivoisé et lacunaire, qu’elle transparait dans vos écrits ?
SUR LE FOND, MONSIEUR NDUI-YABELA
Sur l’Etat de guerre :
Une de vos pépites (décidément l’élégance n’est pas votre fort, je m’en suis rendu compte lors de votre Patara avec mon excellente Consoeur Sombo Dibele) « Si ce dernier (Mboli-Goumba) avait abordé le droit international humanitaire dans son cursus universitaire, il se serait abstenu de recourir à de pareilles arguties ». Qu’en savez-vous ? Quel est le rapport ? C’est vrai que sous le régime de la « rupture », on peut partir du droit de l’environnement et se déclarer « Constitutionnaliste ».
Pour l’essentiel, et sans aucune envie de revenir de manière fastidieuse à la requête qui détaille tout, l’article 152 de la Constitution du 30 mars stipule que : « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie en cas de vacances de la Présidence de la République ou lorsqu’il est porté atteinte à l’unité nationale et à l’intégrité du territoire ». L’honnêteté intellectuelle eut été de régler la question soulevée en traitant de l’article dans son ensemble. Que faites-vous, monsieur NDUI-YABELA, de l’atteinte à l’unité nationale ? Est-ce parce que vous n’y trouvez pas de vraisemblance, le vrai étant rebelle à vos écrits ? Ne vivons-nous pas une période d’atteinte à l’unité nationale ?
Pour ce qui est de la guerre, vous êtes trop « sachant » pour ne pas « savoir » ce qu’est notamment la guerre civile. Que la notion de guerre, au regard des exigences de l’article 152 précité est même extrême, le Constituant Centrafricain de 2016 ne demandant que la survenance d’une atteinte à l’intégrité du territoire pour exclure la possibilité d’une révision. Et encore, dans les domaines révisables. Il est curieux de dénoncer la mainmise de certains pays étrangers, derrière des rebelles qu’on dit étrangers, avec des visées d’annexion, sans en tirer les connaissances sur le plan juridique. Il est tout autant curieux de demander la levée de l’embargo afin de se procurer des armes pour faire face aux ennemis. Il est enfin curieux que le Président de la République ait déclaré que le pays était en guerre et déclaré un cessez-le-feu. Si cela n’est pas une guerre, qu’est-ce donc ? Les internationalistes ? Wikipédia, qui constitue votre source (vous voyez, je suis charitable, je vous fais une fleur) dit que l’internationalisme correspond à un ensemble de positions idéologiques diverses et parfois ANTAGONISTES, qui, par différence ou par opposition au nationalisme, défendent des positions par-delà les frontières. Retenons de tout ça que les tenants de cette doctrine ne sont pas parfois d’accord entre eux, et qu’ils s’opposent au nationalisme. Or, la Constitution est une question nationale, notamment dans son champ d’application. C’est surtout une doctrine, comme tant d’autres. Il s’agit d’une référence mal à propos.
Sur le pouvoir originaire :
Je voudrais rappeler qu’il y’ a six ans, le Peuple Centrafricain s’est doté d’une nouvelle Constitution. Fruit de consultations à la base, elle est surtout le reflet de la volonté profonde des Centrafricains, de tourner la page de l’accaparement du pouvoir par un homme, un clan. Prétendre que les réalités ont changé sans les citer relève de l’onanisme intellectuel.
Ce qu’il faut retenir, monsieur NDUI-YABELA, c’est la référence au Forum de Bangui, qui devient dès lors comme une sorte de préambule en référence à la déclaration des droits. Avec les mêmes valeurs imprescriptibles.
Le pouvoir constituant originaire est certes compétent pour élaborer la première ou une nouvelle Constitution, mais les circonstances doivent être remplies. Par exemple, lorsqu’il y a rupture de l’ordre constitutionnel, vide constitutionnel, accession à l’indépendance etc…
Ce que vous nous proposez, monsieur NDUI-YABELA est une forme semi-directe de l’exercice du pouvoir Constituant, c’est-à-dire l’élaboration d’une Constitution par une Assemblée Constituante et approuvée par voie référendaire. Mais même cette approche est un bateau qui s’écrase sur le récif de l’article 65 de la Constitution du 30 mars 2016, qui stipule que « les deux chambres du Parlement se réunissent en Congrès etc…). Dois-je rappeler que le pouvoir Constituant ne peut se déléguer ? Qu’il ne peut s’exercer par déduction ? Si le Constituant avait voulu que le pouvoir constituant fût délégué, notre Constitution en eut porté trace. Quelle est donc la disposition dans notre Constitution permettant à l’une des deux chambres du Parlement de se substituer à l’autre pour violer l’article 65 ?
Voulez-vous faire comme en 1789, en France, lorsque l’Assemblée s’était autoproclamée Assemblée Constituante pour rédiger la Constitution de 1791 ? Dans ce cas, vous seriez en marge de la légalité constitutionnelle, avec toutes les conséquences de droit.
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En guise de Conclusion :
Tous les régimes, mêmes les plus honnis, au travers de l’histoire, ont eu leurs intellectuels. Ils avaient un dénominateur commun : ils étaient brillants. Parce qu’ils savaient de quoi ils parlaient. L’on pouvait ne pas être d’accord avec eux, mais l’admiration face à la mécanique intellectuelle était présente. La lecture de votre texte a achevé de nous convaincre que ce n’est pas le cas en Centrafrique. C’est dangereux, parce que vous enseignez ceux qui, demain, doivent défendre l’honneur intellectuel de la nation et la servir avec compétence.
Je suis triste.
Maître Crépin Mboli-Goumba
Patriote