L’accord de paix paraphé à Khartoum et signé à Bangui garantit un espoir d’avenir meilleur pour une population meurtrie et en perpétuelle recherche de stabilité. Cet accord est générateur des devoirs, des droits et des obligations à l’égard des parties signataires. Le respect de ces engagements aiguillera la Centrafrique à écrire une page emblématique de son histoire sous l’arbitrage stratégique de la communauté internationale.
L’accord de Khartoum a bien évidemment établi la feuille de route pour la démobilisation, le désarmement des troupes, le retour de l’autorité de l’Etat sur l’étendue du territoire national ainsi que les réformes à entreprendre pour aplanir, éliminer, extirper les causes du conflit en vue de la reconstruction d’un État juste et équitable.
Il est à noter que le corpus de l’accord de Khartoum n’a nullement fait référence expresse à la notion d’amnistie même si la suspension de poursuites des bourreaux s’apparente à une amnistie cachée dans une unité lexicale française. Contrairement aux accords de paix de Libreville qui avait délibérément attribué le poste de premier ministre à l’opposition démocratique, l’accord de paix de Khartoum est muet et discret sur cet aspect mais réclame la mise en place d’un gouvernement dit inclusif.
Il appartient ainsi solennellement au président de la république, garant des institutions de faire usage des dispositions de l’article 33 de la constitution qui lui confère un pouvoir discrétionnaire pour désigner ou limoger son chef de gouvernement.
Au delà de multiples interprétations faites à tort et à travers, nous soulignons qu’on ne peut interpréter un texte juridique que lorsqu’il est flou, ambigu ou obscur et cela dans le souci de rechercher l’intention du législateur en se référant aux travaux préparatoires. Dans le cas contraire, le texte s’applique de façon littérale.
Ainsi, la polémique relative à la démission du premier ministre est alors stérile et contre productive. Dès lors que ce dernier a démissionné après moult pressions, le débat est clos.
Le centre de gravité de toute attention sur le processus de paix demeure la mise en application de l’accord dit de la dernière chance.
S’agissant de la mise en œuvre de l’accord, il est important de rappeler que l’Etat est le principal acteur, la locomotive et le détenteur du principal levier de la mise en œuvre qui doit prendre des mesures urgentes pour l’adoption des dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires favorables à sa mise en œuvre. Logiquement, étant signataires de l’accord au même titre que les autres, les groupes armés devraient cesser les hostilités militaires, désarmer les troupes et dissoudre leurs différentes structures mais par méfiance ils attendent très certainement un signal fort, une réelle volonté de paix qui passe nécessairement par la matérialisation du gouvernement dit inclusif.
Nous saisissons l’opportunité pour rappeler au pouvoir que de petits retards cumulés constitueraient un obstacle majeur au respect du délai de prochaines échéances électorales synonyme de crise institutionnelle engendrée par des reports.
Agacé par l’engouement médiatique autour de l’application de l’accord, le citoyen lambda s’interroge :
Pourquoi la mise en œuvre de l’accord de Khartoum adopte le rythme de la tortue ?
Pensez-vous qu’avec ce rythme, l’objectif de cet accord sera atteint avant les prochaines échéances électorales ?
Pensez-vous que le pouvoir a t-il réellement la volonté de mettre en application cet accord ?
La démission forcée du premier ministre facilitera t-elle la réelle application de l’accord de Khartoum ?
En l’absence d’un formel chronogramme, que vaut l’adverbe « immédiatement » énoncé par l’article 21 du dit accord ?
L’inclusivité du gouvernement voulue par l’article 21 de l’accord est-elle seulement gouvernementale ou doit-elle s’étendre à tous les domaines ?
Que pense le gouvernement de l’intégration des groupes armés dans la fonction publique civile et militaire alors que cette dernière est formellement interdite par la constitution ?
En effet l’alinéa 3 de l’article 28 de la constitution dispose :
« les auteurs, co-auteurs et complices des actes visés aux alinéas 1 et 2 sont interdits d’exercer toute fonction publique dans les institutions de l’Etat ».
Nous estimons à cet effet que la haute cour constitutionnelle appréciera souverainement cette question dans l’intérêt supérieur du peuple.
Pour finir et en guise de contribution, nous invitons humblement le président de la république de s’abstenir d’agir unilatéralement dans le processus d’application de l’accord au risque de voir ce dernier devenir obsolète car dénoncer par les autres parties contractantes.
Il serait ainsi judicieux d’assurer en bon père de famille la coordination d’un comité de suivi équilibré et d’ordonnancer les priorités en fonction des attentes de la population. Rassurez-vous surtout pour ceux ou celles qui jubilent par anticipation que cet accord à l’arraché n’est pas encore la paix tant souhaitée par le peuple mais on s’en approche. Le chemin est encore long et parsemé d’embûches.
Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Paris le 22 février 2019
Bernard SELEMBY DOUDOU
Juriste, Administrateur des élections.
Tel : 0666830062