PK12 : Le gouvernement peut-il vraiment délocaliser un marché qui s’est formé naturellement au rythme des voyageurs ?

Par la rédaction de Corbeau News Centrafrique, CNC.
Lors du Conseil des ministres du 17 juillet, le gouvernement a adopté un décret déclarant d’utilité publique un terrain de 25 415 m² situé dans la commune de Béguois, en vue d’y construire des infrastructures collectives, notamment un marché moderne.
Ce projet, selon le gouvernement, vise à désengorger le carrefour stratégique du PK12, situé à la sortie nord de Bangui, aujourd’hui occupé par un vaste marché informel. Mais derrière cette décision administrative se pose une question plus profonde : peut-on vraiment déplacer un marché qui s’est installé et développé de lui-même, non pas parce qu’on lui a construit des murs, mais parce qu’il se trouve là où les gens passent, achètent et vivent ?
En effet, le PK12 n’est pas un simple point kilométrique. C’est la principale porte de sortie de la capitale vers le nord, l’ouest, et l’Est du pays : Damara, Bambari, Boali, Bossembélé, Bouar, Baboua, ou encore vers la frontière camerounaise ou soudanaise. C’est aussi par là que pénètrent quotidiennement les marchandises, les passagers des taxis-brousse, les camions de transport, les commerçants en gros et les petits revendeurs.
Avec le temps, un marché informel s’est naturellement installé aux abords de la route. À l’origine, ce n’étaient que quelques vendeurs ambulants proposant de l’eau, du pain ou des fruits aux passagers. Mais au fil des années, cette activité spontanée s’est transformée en un marché permanent, avec des étals en dur, des boutiques, des hangars et une véritable animation économique. Cette évolution n’a pas été planifiée par l’État, mais elle répond à une logique implacable : celle de l’offre qui suit la demande. Là où les voyageurs passent, les vendeurs s’installent.
Aujourd’hui, le PK12 est devenu un lieu de vie, un espace économique central, une vitrine animée de Bangui. Le marché n’est pas le produit d’un projet gouvernemental, mais d’une dynamique urbaine vivante, spontanée et populaire.
Le projet gouvernemental pour la construction d’un nouveau marché repose sur l’expropriation d’un terrain présenté comme “non bâti”, identifié par le titre foncier n° 3 281/6. Ce terrain se trouve dans la commune de Béguois, intégrée depuis 2021 dans l’espace élargi du “Grand Bangui”. Selon les autorités, il s’agit d’un espace vide juridiquement, et donc disponible pour y implanter des infrastructures collectives, notamment un marché de remplacement pour désengorger le PK12.
Mais plusieurs éléments posent question. D’abord, dans une zone aussi convoitée que celle du PK12-Bégois, trouver un terrain réellement vide est quasiment impossible. Même les parcelles non construites selon les standards imposés (valeur minimale de 12 à 20 millions de FCFA en bâtiment) sont souvent occupées de manière informelle : maisons en matériaux précaires, petits hangars, zones cultivées ou tout simplement résidences sans titre. En d’autres termes, “non bâti” dans le décret peut très bien signifier “non conforme aux exigences légales”, sans que cela signifie “vide” sur le terrain.
Ensuite, l’usage d’un décret d’utilité publique permet à l’État de contourner certaines résistances juridiques. Mais cela ne règle pas les tensions sociales. Si des familles, même sans titre foncier officiel, habitent ou exploitent ce terrain, leur expulsion pourrait entraîner des conflits. L’expropriation ne devrait pas se réduire à une procédure technocratique, surtout dans une ville où la majorité des habitants vivent dans des conditions d’occupation foncière informelle.
Le risque d’un marché fantôme
Dans son discours devant le Conseil des ministres, le ministre chargé de l’Administration du Territoire a insisté sur la nécessité de créer des infrastructures structurées et modernes pour mieux encadrer la croissance urbaine. L’idée paraît cohérente sur le papier. Mais un marché, ce n’est pas un bâtiment. C’est un lieu de convergence humaine. On ne crée pas un marché en construisant des murs : on crée un marché là où il y a du monde, des flux, des échanges.
Déplacer les commerçants du PK12 vers un site excentré, même bien aménagé, revient à les couper de leur clientèle. Les passagers des taxis-brousse et des camions de marchandises ne descendront pas exprès pour acheter dans un marché éloigné. Et si le flux de clients diminue, les commerçants reviendront s’installer là où l’activité continue. Le marché se reformera au bord de la route. Ce schéma est déjà connu à Bangui : des marchés flambant neufs mais vides, faute de fréquentation (comme certaines zones du marché de Combattant, de Bimbo ou Gobongo), tandis que les marchés spontanés prospèrent à l’extérieur des murs.
Il est donc illusoire de croire qu’un décret suffira à faire disparaître le marché du PK12. Sans stratégie claire d’attractivité, d’organisation du transport, de sécurité et de concertation avec les commerçants, le nouveau site de Béguois risque de devenir un marché mort-né. Les commerçants continueront à vendre là où les clients passent, c’est-à-dire au bord de la route.
La démarche du gouvernement révèle une vision administrative rigide de l’aménagement urbain, déconnectée des pratiques réelles des populations. À vouloir imposer un modèle sans dialogue, l’État risque de créer plus de désordre qu’il n’en résout.
Le PK12 n’a pas besoin seulement d’un marché “délocalisé”. Il a besoin d’un plan d’aménagement global, qui tienne compte :
- des flux humains et économiques,
- de la réalité de l’occupation des sols, • des logiques de survie des commerçants, • et du besoin de sécurité et de fluidité de la circulation.
Déplacer un marché ne doit pas être une punition. Cela doit être un projet négocié, accompagné, et surtout, conçu avec ceux qui y vivent et y travaillent. Dans le cas contraire, l’expropriation ne servira à rien, et le chaos urbain persistera.
À qui profitera réellement ce projet ?
Une autre interrogation légitime concerne l’avenir du terrain du PK12 une fois libéré. Le gouvernement ne précise pas ce qu’il compte faire de cet espace stratégique. Sera-t-il aménagé pour la voirie ? Pour un usage administratif ? Ou fera-t-il l’objet d’un lotissement commercial ou privé ? Dans une capitale où la spéculation foncière est forte, et où les projets d’expropriation ont parfois masqué des opérations de revente à des promoteurs proches du pouvoir, cette question ne peut pas être ignorée.
Une chose est sûre : un marché ne se déplace pas par décret. Il se déplace par logique d’activité. Le PK12 n’est pas seulement une zone d’encombrement : c’est un espace de vie économique dynamique, formé par les mouvements naturels de la population. Le gouvernement peut-il vraiment déplacer ce marché sans s’attaquer à cette dynamique elle-même ? Rien n’est moins sûr….
Par Alain Nzilo
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