interview exclusive à CNC de monsieur Fadi El Abdallah, Porte-parole de la Cour pénale internationale

Rédigé le 26 octobre 2025 .
Par : la rédaction de Corbeaunews-Centrafrique (CNC).
La Cour pénale internationale (CPI) a annoncé la clôture de ses enquêtes en République centrafricaine. Une décision qui provoque des interrogations et parfois des incompréhensions dans l’opinion publique. Depuis de nombreuses histoires circulent en Centrafrique prétendant que la CPI serait en train de préparer d’autres affaires, ou serait sujet à une manipulation visant des desseins politiques.
Pour éclairer les faits et contrer la désinformation, M. Fadi El Abdallah, porte-parole de la CPI, répond à nos questions sur ces sujets, y compris la véritable situation de la Cour en RCA, la procédure d’ouverture des enquêtes et le verdict rendu le 24 juillet 2025 dans l’affaire Yekatom et Ngaïssona, par la Chambre de première instance V, dont les avocats ont fait appel du jugement.
CNC : Monsieur Fadi El Abdallah, Porte-parole de la Cour pénale internationale, bonjour !
Fadi El Abdallah : Bonjour, monsieur le journaliste.
CNC : Quelle est aujourd’hui la situation de l’enquête du Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale en République centrafricaine ?
Fadi El Abdallah : Tel qu’annoncé par le Procureur dans sa lettre adressée aux autorités centrafricaines le 16 décembre 2022, la phase d’enquête dans la situation en RCA est close. À moins d’un changement radical de circonstances, le Bureau ne suivra pas d’autres pistes d’enquête quant à l’éventuelle responsabilité pénale d’autres personnes ou à l’égard d’autres comportements survenus dans le cadre de la situation en République centrafricaine, en dehors des affaires pendantes devant la CPI.
CNC : Pourquoi le Procureur a-t-elle décidé de clôturer ses enquêtes dans le pays ?
Fadi El Abdallah : Le Procureur a estimé que la phase d’enquête sur la situation en RCA II avait atteint ses objectifs. Les éléments de preuve recueillis au cours des années d’enquête ont permis de lancer des poursuites et d’engager plusieurs affaires devant la Cour. La clôture reflète également la volonté du Bureau de concentrer ses ressources sur les affaires déjà pendantes, tout en renforçant la coopération avec les autorités judiciaires centrafricaines, notamment la Cour pénale spéciale, dans le but d’appuyer plus efficacement les efforts nationaux de lutte contre l’impunité pour les crimes les plus graves.
CNC : Que signifie concrètement cette clôture : la CPI se retire-t-elle de la Centrafrique ?
Fadi El Abdallah : Non. La clôture des enquêtes ne signifie pas le retrait de la CPI de la République centrafricaine.
Le Bureau du Procureur poursuit ses activités liées aux affaires en cours, incluant tout mandat d’arrêt non encore exécuté. En parallèle, le Bureau continue à collaborer étroitement avec les autorités nationales et la Cour pénale spéciale, conformément aux protocoles d’accord signés avec le gouvernement centrafricain. Cette coopération vise à renforcer les capacités nationales et à garantir que la lutte contre l’impunité se poursuive au niveau local.
En outre, la CPI continue ses activités de sensibilisation concernant les procédures liées à la Centrafrique, et serait impliquée éventuellement dans les plans de réparations si les juges en décident.
CNC : Le Bureau du Procureur de la Cour a-t-il pris connaissance de la récente plainte déposée à l’encontre du Président Touadéra, et comment s’inscrit-elle dans le cadre de ses procédures habituelles ?
Fadi El Abdallah : En vertu de l’article 15 du Statut de Rome le traité fondateur de la CPI, toute personne ou tout groupe, où qu’il se trouve dans le monde, peut envoyer des informations (que la CPI appelle « communications ») sur des crimes présumés au Procureur de la CPI, qui est tenu de protéger la confidentialité des informations reçues. Il revient uniquement au Procureur de la CPI de décider de la suite à donner à de telles communications.
En règle générale, le Bureau ne commente pas les allégations visant des personnes spécifiques, sauf pour confirmer la réception d’informations lorsque celles-ci ont été rendues publiques par leurs auteurs, comme c’est le cas ici. Le Bureau tient à préciser que la clôture de la phase d’enquête en RCA II n’a aucune incidence sur les affaires déjà engagées devant la Cour, et qu’aucune nouvelle enquête n’a été ouverte à ce stade.
CNC : Certains pensent que les « communications » adressées à la Cour peuvent servir à manipuler la CPI à des fins politiques internes. Quelle est votre réponse ?
Fadi El Abdallah : La Cour pénale internationale est une institution judiciaire indépendante et impartiale. Les juges de la Cour prennent leurs décisions uniquement sur la base des règles applicables et des éléments de preuve disponibles. La justice est vigilante. Le Bureau du Procureur et les Juges disposent de mécanismes solides pour vérifier et examiner les éléments de preuve. Ainsi, les décisions de la justice ne sont pas de nature politique et ne peuvent être manipulées à de tels dessins.
CNC : Quelles sont les principales conclusions du verdict rendu le 24 juillet 2025 dans l’affaire Yekatom et Ngaïssona ?
Fadi El Abdallah : Le 24 juillet 2025, la Chambre de première instance V de la CPI a rendu son jugement dans l’affaire Le Procureur c. Alfred Yekatom et Patrice-Edouard Ngaïssona.
Les juges ont reconnu M. Yekatom et M. Ngaïssona coupables de plusieurs crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis entre décembre 2013 et décembre 2014, notamment le meurtre, la déportation, la persécution, le traitement cruel et la destruction de biens appartenant à des civils musulmans.
La Chambre a toutefois acquitté les accusés de certaines charges, estimant que les preuves présentées ne permettaient pas d’établir leur responsabilité au-delà de tout doute raisonnable pour ces chefs précis.
Les juges ont condamné Alfred Yekatom à une peine totale de 15 ans d’emprisonnement et Patrice-Édouard Ngaïssona à une peine totale de 12 ans d’emprisonnement. Leur temps passé en détention sera déduit de leurs peines.
CNC : Les avocats des deux accusés ont annoncé un appel. Quelles sont les prochaines étapes prévues par la procédure ?
Fadi El Abdallah : Conformément au Statut de Rome, les deux équipes de défense ont le droit de faire appel du jugement de première instance.
La procédure d’appel se déroulera devant la Chambre d’appel de la Cour, composée de juges indépendants. Les parties la défense et le Bureau du Procureur auront l’occasion de présenter leurs arguments.
La Chambre d’appel pourra confirmer, infirmer ou réviser le jugement de première instance, en tout ou en partie.
CNC : Enfin, face à la désinformation grandissante autour du rôle de la CPI en Centrafrique, quel message souhaitez-vous adresser à la population ?
Fadi El Abdallah : La Cour pénale internationale n’est pas un acteur politique. Son rôle est strictement judiciaire : elle enquête et juge les personnes accusées des crimes les plus graves qui concernent l’ensemble de la communauté internationale crimes de guerre, crimes contre l’humanité, genocide et crime d’agression.
La CPI agit de manière indépendante, sur la base des faits et des preuves, et dans le respect du droit.
Je souhaite rappeler à la population centrafricaine que la lutte contre l’impunité est un effort partagé : la CPI intervient lorsque les juridictions nationales ne sont pas en mesure ou ne veulent pas agir, mais elle complémente activement la justice locale, y compris la Cour pénale spéciale.
Face à la désinformation, il est essentiel de se référer aux sources officielles de la Cour son site web (https://www.icc-cpi.int/), ses communiqués et décisions afin de disposer d’informations exactes et vérifiables. La CPI reste engagée à rendre justice aux victimes et à contribuer à une paix durable fondée sur la vérité et la responsabilité.
Je voudrais aussi souligner le rôle constant de nos efforts d’information publique en République centrafricaine pour rapprocher la Cour des communautés affectées. Le programme de la CPI en RCA met en œuvre une communication durable et bidirectionnelle avec les populations locales il s’agit non seulement d’informer sur le mandat, les procédures et les décisions de la Cour, mais aussi d’écouter les préoccupations, de répondre aux questions et de corriger les informations fausses.
CNC : Monsieur Fadi El Abdallah, Merci.
Fadi El Abdallah : c’est moi de vous remercier.
Propos recueillis par Brahim
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