Touadéra nie, Balalou menace : la double stratégie contre la presse centrafricaine dans l’affaire du journaliste Landry Ulrich Nguéma Ngokpélé
Landry Ulriche Ngokpelet, directeur de publication du journal Le Quotidien de Bangui, embarqué dans le pick-up de la gendarmerie nationale du tribunal pour la maison d’arrêt de Ngaragba à Bangui.
Pendant que le président Touadera se défausse de l’affaire Landry Ulrich Nguéma Ngokpélé , son ministre attaque frontalement les journalistes lors de son point de presse à Bangui.
La République centrafricaine montre clairement aujourd’hui sa vraie nature vis-à-vis de la presse. Pendant que Faustin-Archange Touadéra proclame son innocence dans l’arrestation des journalistes, tandis que son ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, l’ex-détenu Maxime Balalou menace ouvertement la profession. Cette coordination n’a rien de fortuit : elle dévoile comment ce régime fonctionne réellement.
L’affaire Landry Ulrich Nguéma Ngokpélé raconte toute l’histoire. Le directeur du Quotidien de Bangui a vécu 94 jours en prison pour avoir publié un simple article. Les accusations pleuvent immédiatement : complicité de rébellion, diffusion d’informations perturbant l’ordre public, incitation à la haine. Trois mois plus tard, les charges deviennent subitement un simple délit de presse.Landry Ulrich Nguéma Ngokpélé retrouve sa liberté il y a quelques jours seulement.
Quelques jours après cette arrestation retentissante, les journalistes interrogent Maxime Balalou lors de son point de presse hebdomadaire à Bangui. Confronté aux questions sur l’arrestation et les accusations portées contre le journaliste Landry Ulrich Nguéma Ngokpélé , le ministre de la Communication révèle sa vraie nature. Plutôt que de rassurer, il choisit de menacer.
“Quand vous vous compromettez vers des actes qui touchent à la sécurité d’État, vous allez répondre à vos actes”, lance Balalou aux journalistes présents. L’ex-détenu devenu ministre pousse plus loin : “La presse n’est pas de la liberté pour faire n’importe quoi. Quand on touche à la sécurité intérieure, attention !”. Ces mots ne laissent aucune ambiguïté sur ses intentions.
Quelques semaines plus tard, le 4 juin, c’est au tour de Touadéra de s’exprimer. Lors de son déjeuner de presse au Palais de la Renaissance, les journalistes lui posent directement la question sur l’arrestation de Landry Ulrich Nguéma Ngokpélé . Sa réponse tranche avec celle de son ministre. “Aujourd’hui, il y a la liberté de la presse. Personne n’est vraiment arrêté pour délit d’opinion”, affirme-t-il avec conviction.
Le chef de l’État rejette toute responsabilité : “Cela ne peut pas venir du Président de la République”. Il assure ne donner “aucune instruction d’arrestation de qui que ce soit” et promet que son ministre d’État à la Justice “va regarder de près et garantir les intérêts de ceux qui sont lésés”.
Cette répartition des rôles obéit à une logique précise. L’ex-détenu Maxime Balalou se charge du message dur aux journalistes nationaux quelques jours après l’arrestation. Touadéra, lui, cultive son image démocratique quelques semaines plus tard face aux mêmes journalistes. Le président peut ainsi nier toute implication dans la répression pendant que son ministre a déjà fait le sale boulot sur le terrain.
Cette séquence montre clairement la méthode du régime.D’abord l’arrestation pour créer la sidération. Ensuite les menaces du ministre pour bien faire comprendre le message. Enfin les dénégations présidentielles pour préserver l’image démocratique. Une organisation parfaitement pensée.
L’ex-détenu Maxime Balalou transforme la notion vague de “sécurité d’État” en arme contre tout journalisme indépendant. Ses références à des exemples étrangers comme la Tunisie, où des journalistes “ont fait les frais” de leurs écrits, sonnent comme des avertissements. “Tous ceux qui sont responsables payeront”, répète-t-il, brandissant la menace de poursuites pour des motifs flous.
Les journalistes vivent une réalité bien différente des déclarations présidentielles. Convocations répétées, menaces, climat tendu : voilà leur quotidien. Le projet de loi sur la presse adopté le 26 mai par l’Assemblée nationale aggrave leurs inquiétudes. Touadéra parle d’indépendance des institutions mais son système, renforcé par la Constitution du 30 août 2023, concentre tous les pouvoirs entre ses mains.
Dans ce contexte, les dénégations présidentielles peinent à convaincre. Comment croire qu’une arrestation aussi ciblée d’un directeur de publication ait pu se faire sans l’aval du sommet ? Surtout dans un système où toutes les décisions importantes passent par le président.
Balalou refuse de commenter directement l’arrestation de Nguéma, se contentant d’un “laissez la justice faire son travail”. Mais quelle justice ? Celle qui sert trop souvent à réduire au silence les voix dérangeantes ? En esquivant ces questions, le ministre révèle sa complicité dans un système qui criminalise le journalisme indépendant.
L’ex-détenu devenu ministre montre aussi son mépris pour la profession en accusant les journalistes de “publier des déclarations à l’emporte-pièce”. Il leur conseille de “prendre le soin de connaître les bonnes informations”, comme s’ils étaient des amateurs incapables de vérifier leurs sources.
Au lieu de proposer des formations ou du soutien financier, Balalou brandit des subventions conditionnelles. Il promet une augmentation des aides tout en exigeant des “rapports” sur leur utilisation. Cette approche transforme l’aide en outil de contrôle.
Les 94 jours d’emprisonnement de Landry-Ulrich Nguéma ne relèvent pas du hasard. Ils s’inscrivent dans une stratégie bien connue: arrêter d’abord pour créer l’effet de sidération, menacer ensuite par la voix du ministre, nier enfin par celle du président. Cette méthode fonctionne parce qu’elle brouille les responsabilités tout en délivrant un message clair à la profession.
La presse centrafricaine se retrouve prise entre les menaces ministérielles et les dénégations présidentielles. D’un côté, un ministre qui criminalise le journalisme critique. De l’autre, un chef d’État qui proclame la liberté d’informer. Cette contradiction apparente forme le cœur d’une stratégie autoritaire parfaitement assumée.